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LE DECOR ABSIDAL DE SANTA MARIA DâANEU
Por MARCEL UURLIATUniversidad de Toulouse
(1) Bomons-nous ĂĄ citer lâarticlede HĂLĂNE TOUBERT, Unefresque de San Pedro de Sor-pe (Catalogne) et le themeiconographique de lâArbor Bo-na-Ecclesia, Arbor Mala-Syna-goga, dans Cahiers archĂ©olo-giques, XIX, 1969, p. 167 - 189,comme un modĂ©le du genre.
(2) JOSEP PIJOAN, Les pinturesmurĂĄis catalanes, III, InstitutdâEstudis Catalans, Barcelona,S. d., p. 37-43; JOSEP GUDIOLI CUNILL, Els primitius, I,Barcelona, 1927, p. 371-382;CHANDLER R A T H F O NPOST, A History of SpanisbPainting, I, Cambridge, Mas-sachusetts, 1930, p. 50-52, 136-138; JOAQUIN FOLCH Y TOÂŹRRES, CatĂĄlogo de la secciĂłnde arte romĂĄntico, Museo dela Ciudadela, Barcelona, 1926,n.° 54, p. 106-109; JOSEP PIÂŹJOAN et JOSEP GUDIOL RI-CART, Les pintures murĂĄisromĂĄniques de Catalunya,Monumenta Cataloniae, IV,Barcelona, 1948, p. 143 etSUiv.; WALTER W. S. COOKet JOSE GUDIOL RICART,Pintura e imaginerĂa romĂĄniÂŹcas, Ars Hispaniae, VI, MaÂŹdrid, 1950, p. 57-58: EDGARWATERMAN ANTHONY, Ro-manesque frescoes, Prince-ton, 1951, p. 169-170; JOSE GUÂŹDIOL RICART, Pintura meÂŹ
dieval, dans Historia de lapintura en Cataluña, Madrid,1956, p. 28; WALTER W. S.COOK, La pintura mural roÂŹmĂĄnica en Cataluña, Madrâd,19c6. n. 21-22; JUAN AINAUD,Esnaña. Pinturas romĂĄnicas,ColecciĂłn Unesco de Artemundial. 7, ParĂs. 1957, p. 18:EDOUARD JUNVENT, CataÂŹlĂłgale romane, II, Zodiaque,1961, p. 200; Lâart romĂĄn, Ca-
On a beaucoup Ă©tudiĂ© la peinture romane catalane,mais en sâattachant de prĂ©fĂ©rence aux problĂ©mes stylisti-ques. Ceux qui concernent lâiconographie, sans avoir Ă©tĂ©absolument dĂ©daignĂ©s (1), demeurent encore insuffisam-ment connus. lis gagneraient a Ă©tre plus largement explo-rĂ©s, car sâil est un domaine oĂŒ la Catalogne a fait preuve
dâoriginalitĂ©, câest bien celui-lĂĄ, Nous aimerions aujour-dâhui attirer lâattention sur un dĂ©cor dâabside de la rĂ©gionpyrĂ©nĂ©enne, celui de Santa MarĂa dâAneu, qui illustre Ă©lo-quemment les rĂ©flexions auxquelles donnaient lieu lâĂ©ta-blissement dâun programme iconographique pour la partiela plus sacrĂ©e de lâĂ©difice du cuite chrĂ©tien (2).
LâĂ©glise de Santa MarĂa dâAneu se dresse au milieu dubeau Val dâAneu, dans le Pallars sobirĂĄ, prĂ©s de lâendroitoĂŒ la route du Port de la Bonaigua dĂ©bouche dans la vallĂ©ede la Noguera Pallaresa. MentionnĂ©e pour la premiĂ©refois dans lâacte de consĂ©cration de la cathĂ©drale dâUrgellen 839 (3), elle ne se trouvait alors que depuis peu sous lepatronage de la Vierge et avait dĂŒ abandonner son ancienvocable wisigoth de sainte Deodata ĂĄ lâoccasion dâune rĂ©or-ganisation ecclĂ©siastique de la rĂ©gion (4). CâĂ©tait le siĂ©gedâun archiprĂ©tĂ© comprenant dix paroisses du Val d.âAneuet des riviĂ©res affluentes en amont dâEscalĂł: Berros,Espot, Jou, «Assor», Son, Burgo, Esterri, Cervi, Isil etAlĂłs.
Nous possĂ©dons un acte de dotation de lâĂ©glise par lecomte Artal de Pallars sobirĂĄ, et lâĂ©vĂ©que Bernat dâUrgell,en date du 30 mai 1085, qui correspond probablement ĂĄlâĂ©poque de construction de lâĂ©difice actuel. II comprenaitalors trois vaisseaux inĂ©gaux âune nef cĂ©ntrale et deuxcollatĂ©rauxâ peut-Ă©tre voĂŒtĂ©s dâarĂ©tes. DĂ©pourvu de tran-sept, le chevet Ă©tait formĂ© dâune ĂĄbside principale canton-nĂ©e de deux absidioles. Au XVI siĂ©cle, on supprima lesvoĂŒtes et les piliers intĂ©rieurs et on unifia lâespace en
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crĂ©ant une vaste salle couverte dâune charpente sur aresdiaphragmes. On dĂ©molit Ă©galement les absidioles, mais onconserva lâabside cĂ©ntrale, qui prĂ©sente toujours a lâextĂ©-rieur une suite de bandes lombardes faites de couples depetits ares reposant sur des lesĂ©nes (5).
On comprend, dans ces conditions, que seul le dĂ©corpeint de lâabside cĂ©ntrale ait Ă©tĂ© conservĂ© âtres incomplĂ©-tement dâailleurs. II a Ă©tĂ© transportĂ© au MusĂ©e dâart deCatalogne a Barcelone, en mĂ©me temps que la plupart despeintures romanes de la rĂ©gion (Pig. 1).
Dâordinaire, la clef du problĂ©me iconographique desĂĄbsides rĂ©side dans le cul-de-four. Ici, exceptionnellement,la description doit dĂ©buter par la partie tournante.
Dans lâaxe, sous la fenĂ©tre, et directement derriĂ©relâautel, par consĂ©quent, on voit reprĂ©sentĂ©s deux couplesde rouses de feu solidaires, correspondant Ă©videmmentaux roues du char de YahvĂ© dĂ©crites par EzĂ©chiel (1,13-21et X,6 et 9): les quatre roues situĂ©es ĂĄ cote des animauxsymboliques et entre lesquelles se trouvait du feu.
De part et dâautre des roues, apparaissent deux sĂ©ra-phins ĂĄ trois paires dâailes disposĂ©es conformĂ©ment a ladescription donnĂ©e par Isa'ie dans sa visiĂłn (VI,l-3):...«Je vis le Seigneur YahvĂ© assis sur un tronĂ© tres Ă©levĂ©;...des SĂ©raphins se tenaient au-dessus de lui ayant chacunsix ailes: deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrirles pieds, deux pour voler, Et ils criaient lâun ĂĄ lâautre cesparoles: «Saint, saint, saint est YahvĂ© Sabaot».
La triple acclamation est rĂ©pĂ©tĂ©e au-dessus de chaquĂ©sĂ©raphin: S(AN)C(TU)S, S(AN)C(TU)S, S(AN)C(TU)S.Par ailleurs les ailes et les mains des sĂ©raphins sont rem-plis des yeux quâEzĂ©chiel mentionne sur les roues ainsique sur le corps, le dos, les mains et les ailes des Ă©trangeschĂ©rubins (EzĂ©chiel, X,12).
Dans leurs mains, les sĂ©raphins tiennent avec des pin-ces un morceau de braise qui leur sert ĂĄ purifier les lĂ©vresde deux prophĂ©tes agenouillĂ©s et perdus dans lâextase(Fig. 2).
Cette scĂ©ne illustre le texte dâIsaĂe (VI,6-7): «Lâun dessĂ©raphins vola vers moi, tenant en main une braise quâilavait prise avec des pinces sur lâautel. II mâen toucha la
talogue, Barcelona et SantiaÂŹgo de Compostela, 1961, p. 26-27; HUBERT SCHRADE, Lapeinture romane (trad. fse),Paris-Bruxelles, 1966, p. 128-130; P. DE PALOL et M. HIR-MER, Lâart en Espagne, duroyaume wisigoth ĂĄ la f'n delâĂ©poque romane (trad. fse.),ParĂs. 1967, p. 91, 122-124; OT-TO DEMUS et MAX HIRMER.La peinture mĂșrale romane(trad. fse.), ParĂs, 1970, p. 74et n.° 158, p. 151.
(3) PTERRE DE MARCA, MarcaHispĂĄnica, ParĂs, 1688, col.764; P. PUJOL, Lâacta de con-sagraciĂł i dotaciĂł de la cateÂŹdral dâUrgell de lâany 819 o839, dans Estudis RomĂĄnics,II, 1917, p. 92-115.
(4) RAMON DâABADAL I DEVINYALS, Catalunya carolĂn-gia, III, Barcelona, 1955, no-tamment p. 194.
(5) J. PUIG Y CADAPALCH, AN-TONI DE FALGUERA et J.GODAY Y CASALS, Lâarqui-tectura romĂĄnica a Catalunya,II, 1911, p. 235-237.
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Santa MarĂa dâĂneu. DĂ©cor de lâabside. (Mas)
bouche et dit: «Vois done, ceci a touché tes lévres, tonpeché est effacé, ton iniquité a disparu».
Le nom dâI(SAIA), qui designe lâun des deux vision-naires montre que le peintre avait clairement connaissancede sa source vĂ©tĂ©rotestamentaire. Par contre, le nom dusecond prophĂ©te pose un problĂ©me. On attendait JĂ©rĂ©mie,dont les lĂ©vres furent purifiĂ©es par la main de YahvĂ© (JĂ©ÂŹrĂ©mie, 1,9); câest au contraire le nom dâElie -âELIAâ quiest inscrit. II convient done dâaccorder aux roues de feuune signification supplĂ©mentaire en les rattachant au char
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de feu qui emporta au ciel lâhomme de Dieu (2 Rois II, 11-13 (6)et EcclĂ©siastique XXXXVIII,12). II nâen reste pas moinsquâElie est considerĂ© aussi, dâune maniere plus genĂ©rale,comme le prophĂ©te inspirĂ© dont les lĂ©vres purifiĂ©es expriÂŹmen! les paroles mĂ©mes de Dieu (JĂ©rĂ©mie, 1,9). Le messa-
ge de tous les prophĂ©tes Ă©tant la bonne nouvelle delâEmmanuel, de «Dieu avec nous» annoncĂ©e par Isa'ie im- (8)mĂ©diatement aprĂ©s le rĂ©cit de sa visiĂłn: «Aussi le Seigneurva-t-il lui-mĂ©me vous donner un signe: La vierge est en-ceinte et va enfanter un fils quâelle appellera Emmanuel.De fromage blanc et de miel il se nourrira» «Isa'ie, VII,14-15).
Et voici que lâEmmanuel promis apparait exactementau-dessus des roues de feu, au centre de la conque absidaledâEsterri dâAneu. La Vierge Marie, assise sur un tronĂ©, prĂ©ÂŹsente LâEnfant a lâadoration des fidĂ©les ainsi quâĂĄ celle desMages; trois personnages de petite taille, mais vĂ©tus avec
recherche, qui offrent leurs prĂ©sents. Le lien Ă©troit entrelâAncien et le Nouveau Testament est matĂ©rialisĂ© par lasuperposition voulue des deux scĂ©nes. Seule la fenĂ©tre etsa lumiĂ©re sĂ©parent les roues de feu du tronĂ© de Marie,qui Ă©voque nĂ©cessairement le tronĂ© de Dieu. Câest bienainsi que le concevaient les peres orientaux, lorsquâils dĂ©-signent Marie du nom de «tronĂ© chĂ©rubinique», allant jus-quâa lui faire dirĂ© dans une hymne: «Approche EzĂ©chiel etreconnais, Ă©tendu a mes pieds, que câest moi que tu as re-connue dans ton extase, assise sur le troné» (6). LâOccidentarrivait aux mĂ©mes conclusions en Ă©tablissant lâĂ©quivalen-ce avec le merveilleux tronĂ© dâivoire plaquĂ© dâor raffinĂ©que SalomĂłn avait fait faire (1 Rois, X,18). II voyait enMarie le tronĂ© de la Sagesse, ou. avait reposĂ© le Christ, nouÂŹveau SalomĂłn (7).
On comprend des lors la significaron profonde de lamandorle qui entoure et isole la Vierge et lâEnfant (8). Sice groupe est une MajestĂ© de Marie, câest aussi et biendavantage une MajestĂ© de JĂ©sus, qui ne pouvait trouvertronĂ© plus sompteux que le sein de la Vierge-MĂ©re. Marietenant lâEnfant sur ses genoux «équivaut» done au tronĂ©apocalyptique sur lequel le Christ prend gĂ©nĂ©ralement plaÂŹce dans le cul-de-four des ĂĄbsides romanes.
DâaprĂ©s HUBERT SCHRADE,La peinture romane, op. cit.,note 3, p. 289.
En dernier lieu: ILENE H.
FORSYTH, The Throne ofWisdom, Wood Sculptures ofthe Madonna in RomanesqueFrance, Princeton, 1972.
Sur le thĂ©me de la Vierge alâEnfant dans la mandorle:ANDRE GRABAR, The Virginin a Mandorle of Light, dansLate Classical and MediaevalStudies in honor of AlbertMathias Friend, Jr. Princeton,1955, p. 305-311.
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(9) ANDRĂ GRABAR, Martyrium,II, ParĂs, 1946, p. 174 et suiv.;Id., Les ampoules de TerreSainte, ParĂs, 1958; GILBER-TE VEZIN, Lâadoration et lecycle des Mages dans lâartchrĂ©tien primitif, ParĂs, 1950.
(10) La mission dâintercession desanges apparait dĂ©ja dans lâAn-cien Testament: Zacharie, I,12; Job, XXXIII, 24.
Santa MarĂa dâĂneu. Le sĂ©raphin pnrifieles levres du prophete. (Mas)
Les Mages introduits dans la conque, de part et dâautredu tronĂ©, le sont en qualitĂ© de tĂ©moins dâun Ă©vĂ©nementdont ils soulignent le caractĂ©re royal et triomphal (Fig. 3).Rien dans le Nouveau Testament ne proclame davantagela divinitĂ© de lâEnfant que cet hommage des rois delâOrient. On sait que lâAdoration des Mages Ă©tait, a ce titre,lâune des images le plus souvent reprĂ©sentĂ©es sur les am-poules de Terre Sainte, avec comme lĂ©gende «Emmanuel,Dieu est avec nous» (9). Câest-a-dire quâon Ă©tablissait dĂ©jĂ©cette relation directe entre lâEpiphanie et la prophĂ©tie delâEmmanuel que le peintre de Santa MarĂa dâĂneu sâest pluĂĄ souligner avec ses pinceaux.
Ces rĂ©flexions nous permettent dâexpliquer la prĂ©sen-ce des deux grands personnages qui encadraient lâEpiphaÂŹnie dans lâabside catalane. SeĂșl subsiste, et en partie seule-ment, celui de gauche. II sâagit de lâarchange saint MichelS(AN)C(TU)S MIHAEL representĂ© debout, brandissantdâune main une banniĂ©re et tenant de lâautre un rouleausur lequel est Ă©crit (PE)TICIUS. Lâautre figure, qui a en-tiĂ©rement disparu, peut cependant Ă©tre aisĂ©ment indenti-fiĂ©e, car le maitre de Santa MarĂa dâAneu avait reproduitsa composition dans une Ă©glise romane du Val dâAran,celle de TredĂłs, de lâautre cote du col de la Bonaigua. CesderniĂ©res peintures ont Ă©tĂ© arrachĂ©es et vendues au MetroÂŹpolitan Museum de New York. Elles sont prĂ©sentĂ©es aumusĂ©e des Cloisters, sur les bords de lâHudson.
Comme a Santa MarĂa dâAneu, la Vierge occupe uneposition frontale, qui est celle dâune image cultueile, etelle prĂ©sente aux fidĂ©les lâEnfant qui bĂ©nit et tient le livreenroulĂ© (Fig. 4). Melchior (MELHIR) sâincline a sa droite,cependant que Balthasar (BALDASAR) et Gaspard (GASÂŹPAR) sont figurĂ©s ĂĄ sa gauche (Fig. 5). Lâarchange Michel(MIHAEL )ferme la composition a droite de Marie, et GaÂŹbriel (GABRIEL) a sa gauche.
Les deux archanges, portant le loros, tiennent ferme-ment en mains la banniĂ©re du Christ et ils prĂ©sentent cha-cun un rouleau. Celui de Michel a dĂ©ja Ă©tĂ© indentifiĂ©. Surcelui de Gabriel apparait le mot POSTULACIUS. Ceci signi-fie que les chefs des milices cĂ©lestes jouent le role dâavo-cats venant dĂ©fendre la cause des justes devant le tronĂ©de JĂ©sus au dernier jour (10).
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Les archanges avocats apparissent dans trois autresĂ©glises des PyrĂ©nĂ©es catalanes, proches de Santa MariadâĂneu: Sant Pere del Burga!, une autre oeuvre du «Maitrede Pedret», le peintre des ĂĄbsides prĂ©cĂ©dentes, Esterri deCardos et Estahon, dont la dĂ©coration fut confiĂ©e a dâau-tres mains. Dans tous les cas, on fit appel au tĂ©moignagedes visionnaires de lâAncien Testament. Au Burgal, deuxprophĂ©tes anonymes tendent leurs mains dans lâattitudede lâadoration; ĂĄ Esterri de Cardos, ce sont les sĂ©raphinsdâIsaie qui lancent la triple acclamation du Sanctus; ĂĄ EsÂŹtahon, on note la prĂ©sence dâun chĂ©rubin et dâun sĂ©raphin.Toujours, aussi, la figure assise sur le tronĂ© est lâanonymede lâApocalypse, identifiĂ© avec le Christ de la Parousie. Onne saurait assez souligner lâĂ©quivalence parfaite entre tou-tes ces images et le caractĂ©re synthĂ©tique de leur significa-tion. Elles transcendent le temps et, quel que soit le con-
texte, le Christ est å la fois le Verbe incarné dans le seinde la Vierge Marie, le Sauveur venu effacer le péché dumonde et le Juge glorieux de 1a, fin des temps.
On sâest demandĂ© comment les archanges avocatsavaient pu sâintroduire parmi ces images de gloire, pourmettre lâaccent sur lâidĂ©e de Jugement, et on a proposĂ©lâexemple de Saint-Vincent de Galliano, prĂ©s de Cantil (pro-vince de Come) (11).
Dans lâabside de cette basilique, un Christ immense,reprĂ©sentĂ© debout, ĂĄ la maniere romaine, dans une man-dorle de lumiĂ©re, apparait aux prophĂ©tes JĂ©rĂ©mie (IERE-MIAS) et EzĂ©chiel (HEZEHIELE), Ă©crasĂ©s et comme fou-droyĂ©s par lâĂ©clat de cette thĂ©ophanie. LâAscension dâElie,qui occupe lâĂ©coingon de gauche de lâarc dâentrĂ©e de lâabsi-de, emprunte a lâhistoire des prophĂ©tes un troisiĂ©me sujet,Ă©galement Ă©voquĂ© ĂĄ Santa Maria dâĂneu. Le Christ estentourĂ© par les deux archanges Michel (MICHAEL) et GaÂŹbriel drapĂ©s du lorosÂĄ et portant le labarum marquĂ© duchrisme, ainsi que la petitio et la postulatio (12). Lâinscrip-tion a ses pieds lâappelle Dominus virtutum et le dit assistĂ©par ses armĂ©es cĂ©lestes: ECCE D(OMINU)S CUI VIRTU-TU(M) SUA AGMINA SISTANT. Ce Christ du Jugementest aussi le Christ Sauveur, comme le prĂ©cise le texte Ă©critsur le livre quâil tient a la main: PASTOR OVIUM BONUS.Cette inscription, relative au Bon Pasteur, est empruntĂ©e
Santa MarĂa dâĂneu.Lâoffrande de Melchior. (Mas)
(11) Le dĂ©cor peint de cette basiÂŹlique a Ă©tĂ© Ă©tudiĂł par GIU-LIO ANSALDI, Gli affreschidella basĂlica di S. Vincenzoa Galliano, MilĂĄn, 1949. Voiraussi ANDRĂ GRABAR, Lapeinture romane, Skira, 1958,p. 39-43.
(12) Des figures dâarchanges, ac-compagnĂ©es des inscriptionsPRECATIO et POSTULACIOfurent Ă©galement dĂ©couvertesa Rome, ĂĄ Saint-Laurent-hors-les Murs: GIULIO ANSALDI,op. cit., note 12, p. 77.
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(13) Cette precisiĂłn chronologiquea Ă©tĂ© fournie par Joan Ainaudde Lasarte, lorsquâil a identi-fiĂ© la donatrice du dĂ©cor deSant Pere del Burgal avec lacomtesse Lucie de Pallare,Ă©pouse du turbulent comteArtal de Pallare, et soeur dâAl-modis de la Marche, secondefemme du comte de Barcelo-ne Raymond-BĂ©renger Ier.
(14) Câest Ă©galement Joan Ainaudde Lasarte qui a soulignĂ© lecaractĂ©re ibĂ©rique des formesPeticius et Postulacius pourPetitio et Postulatio.
TredĂłs. La Vierge ĂĄ lâEnfant. (Mas)
ĂĄ saint Jean X,ll: «Ego sum pastor bonus. Bonus pastoranimam suam dat pro ovibus suis», mais lâidĂ©e en Ă©taitdĂ©jĂĄ chez EzĂ©chiel: «Je susciterai pour le mettre a la tete(de mes brebis) un berger qui les fera paitre... câest luiqui les fera paitre et sera pour elles un berger» (EzĂ©chielXXXIV,22-23).
Lâesprit des dĂ©cors catalans et leurs personnages eux-mĂ©mes se trouvent done a Galliano dans un ensemble quileur est antĂ©rieur. En effet, si la production du maitre dePedret, la plus ancienne du groupe prĂ©cĂ©demment dĂ©fini,nâest pas antĂ©rieure au dernier quart du IX siĂ©cle (13), lespeintures absidales de Saint-Vincent de Galliano remon-
tent au dĂ©but du siĂ©cle. Une inscription date du 2 juillet1007 la consĂ©cration de la basilique et fournit le nom deson fondateur, Ariberto da Intimiano, un clero de lâĂ©glisede MilĂĄn: + VI: NO(nas). JUL(ias). TRANSLACIO(San)C(t)I. AD(e)ODATI. ET DEDICA(tio) ISTIU(s)EC(c)L(lesia)E... TEMP(ore). DOM(i)NI ARIBERTI. DEANTIMIANO ET SUBDIACON(i) (San)C(ta)E. MEDIO-LANENSIS EC(c)L(esia)E... Le portrait du donateurâdĂ©tachĂ© et transportĂ© vers 1850 a la BibliothĂ©que Ambro-sienne de MilĂĄnâ offrant le modĂ©le de son Ă©glise, complĂ©-tait dâailleurs la dĂ©coration de lâabside avec lâinscriptionqui lâauthentifiait: ARIBERT(us) SUBDIAC(onus). Cepersonnage est reprĂ©sentĂ© en simple clerc. 11 ne possĂ©depas encore la dignitĂ© dâarchevĂ©que de MilĂĄn quiâil recut en1018. On a done toutes les raisons de dater les peinturesde Galliano des environs de 1007.
Des parentĂ©s dâordre stylistique, dont nous nâavonspas a faire Ă©tat ici, confirment les renseignements fournispar lâiconographie, en ce qui concerne les crĂ©ations du maiÂŹtre de Pedret, tout au moins. 11 sâen faut cependant quâonse soit astreint a reproduire servilement dans les ĂĄbsidescatalanes le modĂ©le de Galliano en se bornant, en fait denouveautĂ©, a transcrire dans le latĂn de la pĂ©ninsule ibĂ©ÂŹrique les inscriptions en latĂn classique des rouleaux desprophĂ©tes (14).
Dâune part la Catalogue introduit dans ses composi-tions une rigueur thĂ©ologique et plastique rĂ©ellement ex-
ceptionnelle, qui proscrit tout dĂ©tail ne concourant pasdirectement au but visĂ©. A lâinverse, elle se rĂ©vĂ©le capable
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de creer des images nouvelles pour illustrer notammentles liens serrĂ©s unissant le Nouveau Testament ĂĄ lâAncien.Câest ainsi quâelle sâenhardit a adapter au dĂ©cor monumenÂŹtal un thĂ©me comme LâAdoration des Mages, pendant long-temps cantonnĂ© dans les arts mineurs (15). On mettra au
compte de cet art des liaisons et des rapports un dernierrapprochement opĂ©rĂ© dans le dĂ©cor de Santa Maria dâAneu.
Comme ĂĄ Saint-Vincent de Galliano, on y a representĂ©le donateur, ou plutĂłt les donateurs, car ils sont ici aunombre de deux. Ils sont disposĂ©s lâun au-dessus de lâautre,a la limite gauche de la partie tournante de lâabside. Auplus haut, on reconnait un prĂ©tre, tonsurĂ©, jeune et imÂŹberbe, portant une chasuble et tenant dans sa main voilĂ©eun livre fermĂ© (Fig. 6). En dessous de lui, un autre ecclĂ©-siastique, plus ĂĄgĂ© (Fig. 7), Ă©galement tonsurĂ©, porte la tu-nique du diacre et tient le livre de son bras gauche surlequel est placĂ© le manipule. II Ă©tait accompagnĂ© dâune ins-cription dont subsistent les letres suivantes disposĂ©es surdeux lignes: CUL - NAD. On peut penser quâil sâagit dedeux des clercs desservant lâĂ©glise.
Bien sĂŒr, on ne manquera pas de rapprocher ces prĂ©-tes de la Nouvelle Loi des prophĂ©tes de lâAncienne auxlĂ©vres purifiĂ©es par la braise de lâautel, mais il y a mieuxencore et il sâagit dâune relation particuliĂ©rement Ă©troiteavec la figure qui leur fait face, ĂĄ lâextrĂ©mitĂ© droite de lacomposition.
On a reprĂ©sentĂ© la RaphaĂ©l, le troisiĂ©me archange, quise trouve ainsi dĂ©calĂ© par rapport ĂĄ ses deux compagnons.Ce qui peut paraĂtre une anomalie se justifie aisĂ©ment. Onconviendra que Michel, lâarchange du Jugement dernier,peut difficilement trouver place ailleurs quâĂĄ proximitĂ©du tronĂ© du Souverain Juge. De mĂ©me Gabriel, lâange deMarie, devait se trouver a ses cĂłtĂ©s. Mais quelle est donela signification de RaphaĂ©l? Elle nous est fournie par leLivre de Tobie. Sâadressant ĂĄ Tobie et ĂĄ Sarra, lâange leurrĂ©vĂ©le: «Vous saurez que lorsque vous Ă©tiez en priĂ©re, câestmoi qui prĂ©sentais vos suppliques devant la Glorie duSeigneur et qui les lisais»... (16) RaphaĂ©l est la figure delâange gardien (17) et les deux clercs de Santa MariadâĂneu ne pouvaient choisir meilleur avocat pour plaiderleur cause auprĂ©s de Dieu.
TredĂłs. Baltasar et Gaspard. (Mas)
(15) On peut cependant admettreque lâAdoration des Mages,comme une autre thĂ©ophanie,a pu Ă©tre reprĂ©sentĂ©e aneien-nement dans une ĂĄbside. Lâof-frande de Justinien et deThĂ©odora, qui renouvelle dansle sanctuaire de Saint-Vital deRavenne celle des Mages, enserait un Ăndice.
(16) Tobie, XII, 12 ĂĄ rapprocherdâApocalypse VIII, 3.
(17) La mission de lâange gardienest de rapporter a Dieu tousles actes de lâĂĄme qui lui estconfiĂ©e. Cf. YVES LEFEVRE,LâEIucâdarium et les Lucidai-res, ParĂs, 1954, p. 161.
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(18) ANDRĂ GRABAR, Le HautMoyen Age. Mosaiques et pein-tures murales, Skira, 1957, p.62-65.
La composition synthĂ©tique que nous venons dâanaly-ser ĂĄ Santa MarĂa dâAneu est particuliĂ©rement bien adap-tĂ©e a lâespace absidal, lieu privilegiĂ© des thĂ©ophanies, ĂĄcause de la proximitĂ© de lâautel. Elle exprime dâune maÂŹniere heureuse la totalitĂ© de la foi et de lâespĂ©rance chrĂ©-tiennes en termes de visions et ĂĄ lâaide dâimages parfoisvenues dâItalie, mais parfois aussi dâorigine lĂłcale. Câestainsi que, des lâĂ©poque prĂ©-romane, on avait semble-t-il,tentĂ© de combiner une Vision dâApocalypse et une VisiondâEzĂ©chiel dans lâabside de Saint-Michel de Terrassa (18).II en reste des anges et des apotres sur un fond de cerclesfloraux et de rideaux. On nâaurait aucune peine a montrerque lâesprit de la composition de Santa MarĂa dâĂneu seretrouve dans un grand nombre dâabsides catalanes, prin-cipalement dans la rĂ©gion pyrĂ©nĂ©enne, avec des compo-sants lĂ©gĂ©rement diffĂ©rents. La transition sâopĂ©re a SantaMarĂa de Tahull oĂŒ lâon retrouve lâAdoration des Magesdans le cul-de-four et, dans le sanctuaire, du cote de lâEvan-gile, lâarchange Michel avec son rouleau et un sĂ©raphinâauxquels faisaient probablement face a lâorigine, du cote
Santa MarĂa cTAneu. Serond donateur. (Mas)Santa MarĂa dâĂneu. Un donateur. (Mas)
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de lâEpitre, Gabriel et un ehĂ©rubin. On doit voir dans ces
dĂ©cors dâabsides catalanes les homologues en peinture desgrands portails sculptĂ©s languedociens contemporains. lisparticipent aux mĂ©mes intentions et traitent gĂ©nĂ©ralementles mĂ©mes thĂ©mes. lis mĂ©ritent dâĂ©tre Ă©tudiĂ©s avec le mĂ©-me soin.
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