Les riverains des cours d’eau endigués ont parfois oublié jusqu’à l’existence même des ouvrages, devenus
partie intégrante du paysage sans que l’on sache à qui ils appartiennent et qui a la charge de les entretenir. En région méditerranéenne, les inondations de 1999, 2002 et 2003 ont fait un total de 66 victimes – dont une grande partie imputable à des ruptures de digues – et plus de 2,8 milliards d’euros de dommages.
Rupture de la digue du Vidourle à Marsillargues (Hérault), septembre 2002.
Les digues protègent…
… mais peuvent rompre
La prévention, c’est prendre en compte le risque de rupture de digue dans la réglementation
Rupture du canal du Vigueirat (Bouches-du Rhône)
Brèche de la digue de l’Agly (Pyrénées-Orientales ) Novembre 1999
Brèche de Fourques (Gard) Décembre 2003
Les deux principaux mécanismes de rupture sont :la surverse
Le cours d’eau déborde, même faiblement au dessus de la digue vers les terres protégées. La digue est ensuite détruite par érosion régressive.
l’érosion interne (ou « phénomène de renard »)Favorisée par la présence de terriers ou de canalisations, l’eau s’infiltre dans le corps de digue le long d’un conduit préférentiel d’écoulement. Une fois la digue traversée, l’érosion remonte le long du conduit.
Il existe deux autres mécanismes de rupture des digues, plus rares : par érosion externe et affouillement (imputable au courant de la rivière) et par glissement du talus de la digue.
Comment des digues rompent-elles ? Les phénomènes à l’origine de la rupture d’une digue sont aujourd’hui bien connus, même si leur modélisation – c’est-à-dire la représentation mathématique des paramètres qui décrivent ces phénomènes, qui permettrait de mieux les prévoir – est extrêmement délicate.
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Retour d’expérienceCatastrophe d’Aramon Gard, 2002 5 victimes, 60 chômeurs et 5 millions d’euros de dégâts.
Le village d’Aramon est implanté en lit majeur du Gardon, à plus de 6 kilomètres du lit mineur de la rivière, près de sa confluence
avec le Rhône. Le village était protégé des débordements du Gardon, ou des inon-dations par remous du Rhône, par une digue construite au milieu du 18ème siècle, de 2,5 mètres de haut et constituée de limons. Le 9 septembre 2002, le Gardon a connu une crue plus que centen-nale, qui a envahi la plaine d’Aramon. L’eau est arrivée au pied de la digue en fin de soirée, puis a continué à monter, pour finir par sub-merger l’ouvrage. Cette submersion a provoqué plusieurs brèches, responsables d’une vague d’inondation très brutale sur le village où cinq personnes ont péri. Dans les ruelles du vieux village, l’eau a at-teint une grande vitesse. Après la catastrophe, les experts on calculé que la digue avait été submergée par une lame d’eau de 40 à 80 cm ! (Réf. Reconstruction de la digue d’Aramon après la crue de septem-bre 2002. T. Mallet et al., Sécurité des digues fluviales et de naviga-tion, Orléans, 2004, CFGB-MEDD)Trois brèches, sur un linéaire de 10 à 20 mètres, ont entaillé la digue sur toute sa hauteur et creusé une fosse d’érosion au droit des fonda-tions. Deux autres brèches, un peu moins importantes, car elles n’ont pas détruit la digue sur toute sa hauteur, ont néanmoins creusé la digue sur toute sa largeur. Un glissement du talus sur un linéaire de 10 mètres a également été observé sur un autre secteur de la digue.
… Les conséquences de cette inondation brutale du village ont été très importantes, avant tout en raison des décès. Il a fallu évacuer et reloger les 84 pensionnaires de la maison de retraite ; installer plus de 80 mobil homes pour les sinistrés dans l’impossibilité de reve-nir rapidement chez eux, donc viabiliser au préalable des terrains. L’inondation d’une fabrique d’emballage de cagettes a provoqué la mise au chômage de 60 personnes et 5 millions d’euros de dégâts. De nombreux bâtiments publics ont été détruits ou fortement en-dommagés : l’école maternelle (délocalisée depuis), les ateliers muni-cipaux, le restaurant scolaire, le centre aéré, la crèche, la gendarmerie, la maison de retraite…
Brèche sur le tronçon sud de la digue d’Aramon, septembre 2002, Gard
Les effets dévastateurs des ruptures de digues
Anciennes, plus ou moins bien conçues et un peu oubliées,
les digues finissent souvent par céder. Mais les digues correctement
construites et entretenues ne sont pas exemptes du risque
de rupture face à des crues majeures. La plus sûre des mesures,
outre celle qui consiste à assurer et organiser la surverse en cas
de survenance d’une crue supérieure à la capacité de la digue,
consiste à réglementer avec une attention particulière l’urbanisation derrière ces ouvrages.
L’effet de vague
Les ruptures de digues engendrent de véritables « vagues », car la rupture intervient le plus souvent lorsque la crue est à son maximum, autrement dit lorsque les volumes d’eau contenus dans le lit endigué sont importants.
La fosse d’érosion
Une fosse d’érosion en aval de la brèche a été observée lors de la rupture de la digue en rive droite du Petit Rhône en amont de l’autoroute A54, lors de la crue de décembre 2003 : la fosse avait une dizaine de mètres de profondeur et une cinquantaine de mètres de long ! La rupture de la digue (sur plusieurs centaine de mètres) est imputée à la surverse de l’ouvrage (Réf. R. Tourment et B. Ledoux, in Sécurité des digues fluviales et de navigation, Orléans, 2004, CFGB-MEDD).
Des études historiques conduites sur les crues de la Loire moyenne au 19ème siècle montrent que les très nombreuses ruptures de digues (160 en 1856) ont provoqué des destructions tota-les sur tous les secteurs situés à une distance de 100 fois la hauteur des ouvrages (Reconnaissance et caractérisation des brèches anciennes dans les digues de la Loire. DIREN Centre. 2008)
Rupture de la digue de La Mosson à Maurin (Hérault), en septembre 2002
fosses d’érosion
Maîtriser et réglementer l’urbanisation derrière les digues
• Les zones endiguées sont soumises à un risque d’inondation par rupture brutale des ouvrages, risque d’autant plus grand que les digues sont anciennes, insuffisamment entretenues ou mal conçues.
• C’est pourquoi, dans les zones protégées par des digues, la possibilité d’un dépassement de la crue pour laquelle la digue a été conçue ou d’un dysfonctionnement de l’ouvrage avec rupture doit être envisagée.
• La zone inondable doit être définie, et prise en compte dans les documents d’urbanisme, avec cette hypothèse que malgré la présence des ouvrages, l’eau peut occuper un jour ou l’autre son lit majeur.
• Pour ce faire, les PPR doivent interdire les constructions dans les zones de danger (art. 562-1 du CE) et réglementer les zones d’expansion de crue (art. 562-8 du CE). Les PPR doivent in-terdire toute nouvelle construction dans les zones à risque (loi de février 1995) et notamment quand le risque est fort, ce qui pourrait être le cas derrière les digues (respect d’une bande inconstructible).
• Le permis de construire, sur la base de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation (notamment en arrière d’une digue), sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique.
• Le code de l’urbanisme (notamment les articles L.121-1, L.123-1 et R.123-11) impose aux collec-tivités de prendre en compte le risque inondation dans la planification urbaine (SCOT et PLU).
Responsabilités des propriétaires de digues (particuliers, communes…) et des maires
• La responsabilité civile du propriétaire peut être engagée « pour faute » (article 1382 du Code Civil), pour « négligence ou imprudence » (article 1383), ou même sans faute, « du fait des choses que l’on a sous sa garde » (article 1384). Le propriétaire d’une digue est « responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est imputable au défaut d’entre-tien ou par le vice de sa construction » (article 1386).
• Le maire est également responsable de la sûreté et de la sécurité publiques au titre de ses pouvoirs de police générale (articles L2212-2 et 2212-4 du Code général des collectivités territoriales) qui comprend entre autre « le soin de prévenir les inondations et les ruptures de digues ». Lorsque des biens existent dans les zones endiguées, la commune doit prévoir les modalités de gestion d’une crise possible. La mise en place d’un Plan Communal de Sauvegarde est une solution efficace et obligatoire lorsqu’un PPR est approuvé.
• De nombreux contentieux sont à noter portant sur la responsabilité de l’État et des com-munes pour avoir laissé construire derrière les digues (www.prim.net).
Le cadre juridique de la surveillance et de l’entretien des digues
• Le décret du 11 décembre 2007 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques et au comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques fixe les obligations géné-rales qui incombent aux propriétaires et gestionnaires des digues. Les digues sont classées en fonction de leur hauteur et de l’importance des populations qu’elles protègent. Ce classement remplace la dénomination « digue intéressant la sécurité publique » utilisée jusqu’alors. Ce décret établit de nouvelles dispositions et impose entre autre la réalisation d’une étude de danger selon la classe de la digue.
• La responsabilité de l’État réside dans le contrôle du respect de ces obligations concernant la sécurité des digues de protection contre les inondations.
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