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24 L’ECHO SAMEDI 19 NOVEMBRE 2016

Opinions

INTERVIEWJEAN-PAUL BOMBAERTS

Face aux triomphes des popu-lismes, un peu partout dans lessociétés occidentales, l’es-sayiste français Raphaël Glucksmann propose decontrer les populistes sur leur

propre terrain: celui de l’identité natio-nale. «Profitant du silence et de l’indolence deshéritiers supposés de Voltaire, Zola et Hugo,les rejetons de Maurras et Barrès ont kidnappénotre histoire. Devenus maîtres du passé, ilscontrôlent le présent et oblitèrent l’avenir»,constate-t-il dans l’introduction de sonnouveau livre «Notre France».

Un ouvrage qui se situe dans la conti-nuité du précédent, «Génération gueule debois» (2015), qui parlait du triomphe de lagrille de lecture réactionnaire qui s’imposeun peu partout dans le débat public. «Orl’analyse ne suffit pas. Il faut une histoire àproposer, en réponse à la confiscation del’identité nationale par les Zemmour, de Vil-liers, Le Pen», lance-t-il. Cette histoire, c’estcelle d’une France et aussi d’une Europehumaniste, cosmopolite, ouverte sur lesautres, le monde et l’avenir. «Il est temps deréapprendre à dire et à aimer ce que noussommes.»

Le producteur de radio Brice Couturier aaffirmé, voici quelques jours, que noussommes à deux ou trois élections de lafin de l’Otan et de l’UE. Est-ce vraiment sigrave?Dans mon précédent livre, j’avais imaginéMarine Le Pen présidente en 2017. Tout lemonde souriait. Aujourd’hui, on souritbeaucoup moins. Depuis Trump, c’est ledébut de la fin du déni. À chaque élection,on disait que Marine Le Pen a atteint sonplafond de verre. Ceux qui disaient celaétaient les mêmes qui disaient que Trumpne passerait jamais. Marine Le Pen n’a pasde plafond de verre. Il n’y a aucune limiteau populisme. La crise est extrêmementprofonde et tout est désormais possible.De Varsovie à Washington, l’ensemble dumonde occidental est traversé par desmouvements de repli ou de rejet. Et rien nenous garantit qu’il n’y aura pas une implo-sion de l’Otan ou de l’UE. Tant qu’un nou-veau projet n’aura pas été reformulé, nousserons sous le coup de cette menace.

Comment considérez-vous la victoire deTrump?L’avènement de Trump, c’est plus qu’unerévolte sociale. C’est une révolte identi-taire. La communauté blanche a remportéune sorte de guerre politique intercom-munautaire. C’est très dangereux d’entrerdans cette logique de rapport identitaire àla politique. D’où l’importance de renoueravec un espace de bien commun.

Quand Nicolas Sarkozy parle des ancê-tres gaulois pour définir ce qu’est êtrefrançais, comment réagissez-vous?Je vois un côté progressiste à ce que despersonnes descendant de juifs d’Europe del’Est puissent affirmer qu’ils descendentdes Gaulois. Le problème, c’est lorsqu’ons’arrête aux Gaulois. Tout au long de l’his-toire de France, il y a eu des brassages suc-cessifs. On ne peut pas définir l’identitéd’un peuple de manière univoque. Un récitnational, ce n’est pas la célébration d’unmusée. Les identités sont multiples, succes-sives et évolutives.

Lorsque vous revisitez les sources de laFrance, vous ne vous arrêtez pas à Vol-taire et aux valeurs de la Révolution.Vous remontez bien plus loin dans letemps.Les principes consacrés à la Révolution ontinfusé bien avant. Prenez la laïcité. Au XVIesiècle déjà, le juriste Michel de l’Hospitalplaidait pour la création d’un espace com-mun au-dessus des religions. En évoquantcertaines de ces figures de l’ancien régime,j’ai voulu réancrer dans notre histoire na-tionale les principes dits universalistes dela Révolution. De ce voyage à travers les siè-cles qui nous ont façonnés, j’ai ramené l’es-quisse d’une France ouverte sur le mondeet sur l’autre. Il fut un temps où nous abat-tions les murs au lieu de les ériger.

Le modèle français d’assimilation est-ilen train de perdre pied face au multicul-turalisme anglo-saxon?Tous les modèles sont en train de perdrepied. Au vu du résultat du dernier scrutinprésidentiel, je ne crois pas que le modèlemulticulturel américain soit une granderéussite. Le multiculturalisme se limite àaccepter la présence de personnes de diffé-rentes origines. Mais ça ne permet pas deconstruire un peuple. Le multicultura-lisme, c’est de la paresse intellectuelle. Onassiste à une crise des processus d’intégra-tion dans l’ensemble des pays occidentaux.Il faut chercher ce qui transcende les com-munautés, quelque chose de commun àtous et qui s’impose à tous. Sinon on vatout droit vers une société d’affrontementscommunautaires.

Les précédentes vagues d’immigration(Italie, Portugal, Pologne, Russie, etc.) se

sont fondues dans le moule français.Pourquoi aujourd’hui avec les arabo-musulmans, la mayonnaise ne prend-elle plus?Il y a deux problèmes majeurs. Le premier,c’est l’idéologie fondamentaliste musul-mane qui, à juste titre, effraie la popula-tion autochtone. Il faut combattre cetteidéologie sans tabous. La gauche a péchépar manque de lucidité et de courage. Ledeuxième aspect du problème renvoie aufait que les immigrations précédentes pas-saient par des structures comme le servicemilitaire, les partis politiques ou leséglises. Ces structures sont aujourd’hui encrise ou ont été supprimées. On ne peutfaire peuple que lorsqu’au moins symboli-quement, on se croise. Et le marché del’emploi, lui, est en panne.

Est-ce qu’avec les attentats, la fracturen’est pas déjà trop profonde?

Les musulmans sont 6 millions en France.Qu’est-ce qu’on fait? Soit on les intègre,soit on les déporte. Les propositions deZemmour et de ceux qui prônent la guerredes civilisations sont irréalistes. La seulesolution est de relancer la machine à inté-grer. Nous n’avons pas le choix.

D’où votre plaidoyer en faveur d’un ser-vice civil, à la place de l’ancien servicemilitaire?Un service civil permet de contraindre lesgens de s’extirper de leur milieu. FrançoisHollande a commis l’erreur de ne pas ren-dre le service civil obligatoire. Lorsqu’il estpratiqué sur une base volontaire, ons’adresse à des gens qui sont déjà sortis deleur ghetto. Dans ces conditions, l’impactdu service civil sera minime. L’intégrationest difficile lorsqu’on nie l’idée d’espacepublic, de bien commun ou de volonté gé-nérale.

Une identité européenne est-elle compa-tible avec une identité nationale?Le patriotisme français que je revisite esttourné vers l’extérieur. Les gens qui ont en-fanté le projet européen n’étaient pas destechnocrates, mais les plus grands chan-tres de l’identité française. Victor Hugo,par exemple, se pose en chantre de la pa-trie, mais ça ne l’empêche pas de se consi-dérer comme appartenant à une commu-nauté européenne. Il faut revitaliser ce rap-port ouvert à l’identité, qu’elle soitfrançaise ou européenne. Mais pour cela, ilfaut donner du sens à l’Europe. Il est diffi-cile de forger une identité à coups de direc-tives européennes. On aurait, par exemple,pu fabriquer des billets avec l’effigie de Va-clav Havel ou Léonard de Vinci.

«Notre France», Raphaël Glucksmann, Al-lary Éditions, 262 pages, 18,90 euros

Raphaël Glucksmann

«Rien ne garantit qu’il n’y aura pasune implosion de l’Otan ou de l’UE»

«Le multiculturalisme se limite à accepter laprésence de personnes de différentes origines.C’est de la paresseintellectuelle. Il fautchercher ce quitranscende lescommunautés, quelquechose de commun à touset qui s’impose à tous.»

© JONAS ROOSENS

RAPHAËL GLUCKSMANN� Né à Paris en 1979.

� Fils du philosophe André Glucksmann,décédé en 2015.

� Diplômé de Sciences Po à Paris.

� Essayiste, réalisateur et journaliste, ilse présente comme un intellectuelengagé.

� Il gère la société Noé Conseil, spéciali-sée dans le lobbying et le conseil auprèsd’institutions.

� Marié à Eka Zgouladze, ancienneministre de l’Intérieur de Géorgie etactuelle vice-ministre de l’Intérieur del’Ukraine, dont il a un fils.

� Il se fait connaître en 2004 par undocumentaire sur le génocide auRwanda.

� En 2008, il signe, avec son père, sonpremier livre «Mai 68 expliqué à NicolasSarkozy».

� De 2008 à 2013, il conseille le prési-dent géorgien Saakachvili.

� En 2015, il attaque le FN, Zemmour etautres Dieudonné dans son livre«Génération gueule de bois».

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