medievales - nos 22-23-1992
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8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
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T'T 17
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VALES
JL-X
A
*
4
histoire
1
JL-X
A
*
4
histoire
POUR
L'IMAGE
§
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
2/260
MÉDIÉVALES
Langue
Textes
Histoire
NUMÉROS PARUS
1 Mass-media
et
Moyen
Age.
1982).
Épuisé
2 Gautier
de
Coinci
le
textedu
Miracle.
1982).
Épuisé
3
Trajectoire
du sens.
1983)
4
Ordres
t désordres.
tudes
édiées
Jacques
e
Goff.
1983).
Épuisé
5 Nourritures.
1983).
Épuisé^
6 Au paysd'Arthur.1984). Épuisé
7
MoyenAge,
mode
d'emploi.
1984).
Épuisé
8 Le souci du
corps.
1985).
Épuisé
9
Langues.
1985).
Épuisé
10
Moyen Age
et
histoire
politique.
Mots, modes,
symboles,
truc-
tures.
Avant-propos
e
Georges
Duby.
1986).
Épuisé
11 A
l'école
de
la
lettre.
1986)
12
Tous les chemins
mènent
à
Byzance.
Études dédiées
à Michel
Mollat.
1987)
13
Apprendre
e
Moyen Age
aujourd'hui. Épuisé
14 La
culture
ur le
marché.
1988)
15 Le premierMoyenAge. 1988)
16/17
Plantes,
mets t mots
dialogues
vec A.-G.
Haudricourt.
1989)
18
Espaces
du
MoyenAge.
1990)
19 Liens de
famille.
Vivre et
choisir a
parenté.
1990)
20
Sagas
et
chroniques
u Nord.
1991)
21 L'an mil
Rythmes
t
acteursd'une
croissance.
1991)
©
PUV,
Saint-Denis,
1992
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
3/260
MÉDIÉVALES
Revue semestrielle
ubliée
par
les Presses Universitaires
de Vincennes-Paris
III
avec
le
concours
du Centre National des Lettres
Conseil
-
=
imrrwTM^a
Jérôme
BASCHET
.
±
~
=
imrrwTM^a
ETI]
J iE
François
BEAUSSARD
'
^
Mh1 » ¡Ž
Christine
LAPOSTOLLE
.
^
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J |
Danielle REGNIER-BOHLER
iVtPff 11 I
Bernard
ROSENBERGER
ļ
■■
Elisabeth8 ADORA-RIO
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: :
Simonne
ABRAHAM-THISSE
MH WÌ
ff | |V|&
=^7?:
Alain
BOUREAU
EHR/
[f
Geneviève BÜHRER-THIERRY
Vna
IIvUBHHb^S
François
JACQUESSON
MW 1. m
Bruno LAURIOUX
1B JIM
flļM WB^gÊSÊÊ^
Laurence MOULINIER
LadT HORD
YNSKY-C AILLAT
'¿'
l
;
Les
manuscrits,
actylographiés
ux normes
habituelles,
insi
que
les
ouvrages pour
comptes
rendus,
doivent être
envoyés
à :
MÉDIÉVALES
Presses Universitaires de Vincennes
Université Paris
VIII
2,
rue de la
Liberté,
93526 Saint-Denis Cedex
02
-
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SOMMAIRE N° 22-23 1992
POUR L'IMAGE
L'histoire
par
l'image
Chiara FRUGONI
5
La parole incarnée voir la parole dans les images des XIIeet
XIIIe
iècles
Isabelle
TOINET
13
Images
de la
«
merveille : la
«
Chambre
de
Beautés
»
Anne
RABEYROUX
31
Texte et
image
dans les
incunables
français
Danièle SANSY
47
Le
pape,
le
duc
et
l'hôpital
du
Saint-Esprit
e
DijonChristianeRAYNAUD 71
Démons et tambours au désert de
Lop
:
Variations
Orient-
Occident
Lucette BOULNOIS
91
ESSAIS
ET
RECHERCHES
Les baleines
d'Albert
le
Grand
Laurence
MOULINIER
117
Les
valeurs
métaphoriques
de la
peau
dans le
Roman
de
Renarî.
Sens et fonctions
Pierre BUREAU
129
Nithard et la Res
Publica
:
un
regard
critique
sur
le
règne
de
Louis le Pieux
Philippe
DEPREUX
149
Pouvoir
libérateurdu vin
et
ivresse
du
texte
Esther
BENAÏM-OUAKNINE
163
-
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4
Élisabeth,
Ursule et les Onze mille
Vierges
un
cas d'invention
de
reliques
à
Cologne
au XIIe iècle
Laurence MOULINIER
173
Le
roi,
le
peuple
et
l'âge
d'or : la
figure
de Bon
Temps
entre
le
théâtre,
a fête et la
politique (1450-1550)
Jean-Louis ROCH
187
Culture et
politique
à Sienne au début du xiv«
siècle le
Statut
en
langue
vulgaire
de 1309-1310
Laura NERI 207
Notes de lecture
223
Aline
Rousselle,
Croire et
guérir.
La
foi
en Gaule
dans
l'Antiquité
tardive
(G. Bührer-Thierry)
;
William
D.
Paden,
The Voice
of
the
Trobairitz.
erspectives
n
the
Women Troubadours
M.
Aurell)
;
MyriamGreilsammer,
L
enversdu tableau.
Mariage
et
maternité
n
Flandre médié-
vale
(D. Lett)
;
Christiane
Klapisch-Zuber,
La
maison et
le
nom,
stratégies
t rituelsdans
l'Italie de la
Renaissance
(D. Lett) ; Iconographiemédiévale. mage, texte, ontexte,
sous
la dir. de G.
Duchet-Suchaux
(P. Faure)
;
Michel
Pastoureau et Jean-Claude
Schmitt,
Europe.
Mémoire et
emblèmes
G. Bührer-Thierry)
;
Jeffrey
.
Hamburger,
The RothschildCanticles.Art and
Mysticism
n
Flanders nd
the Rhinelandcirca 1300
(B. Buettner)
;
Miri
Rubin,
Cor-
pus
Christi
the Eucharist n
Late Medieval Culture
A.
Bou-
reau)
;
Odile
Redon,
Françoise
Sabban et Silvano Ser-
venti,
La Gastronomie au
Moyen
Age.
150 recettes de
France et d'Italie
(H. Bresc)
;
Danielle
Jacquart
et Fran-
çoise Micheau,
La médecine arabe et l'Occident
médiéval
(B. Laurioux) ; Courrier de I'Unesco, Il était une fois
al-Andalus Cécile
Morrisson,
La
Numismatique M.
Bou-
rin)
;
Compagnie
des
Quatre
Chemins,
Le
chariot
L.
Mou-
LINIER).
Livres
reçus
252
-
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Médiévales
2-23,
rintemps
992,
p.
5-12
Chiara
FRUGONI
L HISTOIRE PAR L IMAGE
Il
y
a différentes
açons
de faire revivre e
temps passé.
Méditer
sur
les sources
écrites,
nterroger
es documents
-
chroniques,
et-
tres,
ermons,
poésies
-
toutes
ces voix
qui,
accrochées
à de
fragiles
feuilles,
nt traversé es siècles
pour parvenir usqu à
nous. Mais on
peut
aussi chercher
renforceru à créerdes
liens
avec
d autres sour-
ces ou d autres méthodes.
L iconographie
t
l iconologie
e
proposent
utiliser œuvre d art
ou la
simple image
comme
une source
historique
ui
generis
pour
reconstruire
e
passé.
La différence ntre
iconographie
t
l iconolo-
gie,
selon
la
définition
e
Hoogerwerff,
n
1931,
est semblable celle
qui
distingue
a
géographie
de la
géologie
la
première
traite de
l aspect
extérieur
un
phénomène,
a seconde examine sa
structure
interne,
Un
exemple
reconnaître,
ans une
figure
e femme
ernéed une
auréole et
tenant
dans ses
bras un
enfant,
ui-même
uréolé,
a
Vierge
et
l Enfant
Jésus,
est
du
ressort
de
l iconographie
relever,
dans
le
changement e positionde ces deux personnages un par rapportà
l autre,
l indice
d une nouvelle attitude
mentale et
émotionnelle,
symptôme
un
déplacement
ans l histoirede la culture t
des
idées,
est
du ressort e
l iconologie je pense plus particulièrement
la
repré-
sentation
de
la
Nativité.
Tant
que,
en
Occident,
on a
copié
l icono-
graphie
byzantine ui présentait
a
Vierge
couchée
dans
un
lit,
épui-
sée,
et l Enfant
lavé
par
deux
sages-femmes,
attention
tait
portée
sur
une
simple
scène d accouchement
il
s agissait
de raconterun
événement.
uand
au
contraire,
urtout
partir
de la
fin
du
XIVe
iè-
cle,
à la suite des Révélations de sainte
Brigitte, ui
mit
en
forme
dans ses écritsune attitudementaledéjà répandue,on commenceà
représenter
a
Vierge
t saint
Joseph
genoux,
vec entre ux
l Enfant
couché sur
la
paille,
ce sur
quoi
on veut
attirer
attention st une
scène d adoration.Le
protagoniste
est
plus
la
Vierge
ouffrante,
ais
l Enfant Divin. Marie
et
Joseph
ont le trait
d union
entre
es fidèles
-
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6
et le
Sauveur,
et ils invitent
observateur s identifier eux dans
leur
geste
de
pieux
recueillement.
arfois un
sarcophage
remplace
a
paille,
allusion
à la Passion
et au Sacrifice
qui
attendent
Enfant.
Ce
détail,
qui
suscite
ou veut susciter
un sentiment e
gratitude
t
d émotion chez
l observateur,
nous
explique
et
illustre,
utant
qu un
texte,
cette
nouvelle
attitude
religieuse
faite
d adhésion sentimentale
et
d effusion,
de sensibilité
la vie
humaine du
Christ,
qui
est un
des
aspects
caractéristiques
e la
prédication
et de la
thématique
franciscaines.
Dans cette
discipline
donc,
la
faveur rencontrée
ar
une
image,
indépendammentu succès artistique, onduit historien s intéres-
ser à des
produits
ouvent
humbles
t
à
des œuvres
généralement
égli-
gées,
alors
qu elles
étaient
expression
de classes sociales très nom-
breuses
mais laissées
à l écart
de la
production
rtistique
destinée
la classe
dominante.
L historien
peut par
là
récupérer
une énorme
quantité
de sources
jusqu ici
abandonnées
au silence. Pensons
par
exemple
à
un
genre
qui
commence se
répandre
la
fin
du
Moyen
Age,
aux ex-voto.
Convenablement
nterrogés,
es modestes
petits
tableaux
nous
livrent ne
foule d informations
ur les
comportements
religieux,
ur
la
société
maladies,
métiers,
bjets domestiques
t ainsi
de suite), le territoirele milieu rural ou citadin).
La
tendance si
générale
qu on
avait au
Moyen Age
de donner
à toute
chose une
interprétation
t une valeur
symboliques
rend
d autant
plus
importante
a
compréhension
es
images
de
cette
épo-
que.
Pourtant
image,
comme
le
document,
st un
message
ambigu
et
il
convient
l historien
engager
toute
sa
finesse,
on
expérience
et son
habileté
pour
l interpréter
ans le déformer
i le
déguiser,
n
établissant
vec
l époque
qui
l a
produit
tout un réseau de relations
et en
invoquant
des sources
écrites,
ndispensables
our
en confirmer
et en
approfondir
a
signification.
Le chercheur
n
iconographie
t en
iconologie
médiévales aura
donc présent l esprit ussi bien le texteque l image, qu il associera
dans
une interaction
ans
préséance
dissocier
a
parole
de
l image
représenterait
ne mutilation
ans
la reconstruction
istorique
d une
réalitédans
laquelle
elles
étaientnaturellement
ondues,
dans la cons-
cience
de ces
hommes
et dans
le cours
quotidien
de ces vies
que
nous
voudrions
réveiller.
Nous avons
évoqué
les
images
symboliques.Que
représente, ar
exemple,
sur une
carte médiévale
du
monde
-
la
gigantesque
arte
d Ebstorf
1240)
-
un
pélican
en train de
se déchirer
a
poitrine
Il est
placé
à
l extrême
droite de
la
carte,
comme
au sommet
d une
pyramide l intérieur e laquelle estempilé par compartimentsuper-
posés,
le
catalogue
sérié des créaturesfabuleuses qui habitaient,
pensait-on,
es
régions
lors
inaccessibles.
a
légende
précise
n effet
hic
sunt desertae
solitudines
et
inhumanae monstruosarum
entium
faciès
(ici
sont
les solitudes
désertes
t
la
gent
monstrueuse
l aspect
-
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7
inhumain).
Pour le
comprendre,
nous devons d abord
consulter e
Physio ogus
une sorte
de livre
d histoire
naturelle ù
chaque
animal,
vrai ou
imaginaire,
st décritdans ses
habitudes,
souvent assez fan-
taisistes,
t
plié
ensuite
une
interprétation
orale,
de
manière
aider
la mémorisation
e chaînes de versets
bibliques.
Le
pélican qui
se
déchire
a
poitrinepour
ressusciter
e son
sang
ses
petits
qui
étaient
morts,
st comme
e Sauveur
qui
meurt
our
la
rédemption
e l huma-
nité. L oiseau sur
notre arte résout donc le
problème
de
1 «
impossi-
ble salut
»
;
l œuvre
d évangélisation
st destinée à
atteindremême
les contrées es
plus
reculées et l oiseau
posé
au-dessus de ces
pau-
vres difformitésappelle,visuellement, universalité u sacrificedu
Christ.
Les
images
qui pouvaient
orner une
cathédrale taient e
moyen
essentiel
de
rapprocher
es classes
humbles
des
doctrines
t du
savoir
de
l Église
et des classes dominantes.
Au
XIIe
iècle,
l émergence
de
la cathédrale comme centre ntellectuel u lieu des
monastères,
par
son
implantation
n milieu
urbain,
par
la
diversité es
fonctions
u elle
remplissait
vec son
chapitre pour
l administration
u
diocèse,
eut
aussi
pour conséquence
une
plus
grande
ouverture
ers e monde
laïc.
Dans l Italie
méridionale,
e
rapport
de la cour
normande
point
de
rencontre e plusieurs utrescivilisations, recque,arabe, etc.) avec
le monde
ecclésiastique,dépasse largement
es
relations
normalement
nécessaires
une chancellerie
omplexe
il
assume
une
dimension
oli-
tique précise quand
se réalise
la
latinisation
rapide
de
l épiscopat,
opposé
à l influence e
l empiregrec.
La cour
normande st en
étroite
relation
vec le haut
clergé,
comme
le
montre
introduction
massive
dans les
églises
d une
thématique
profane
et
plus
précisément
oliti-
que.
Une
série
de documents t
d inscriptions
hargés d implications
anti-byzantines émoigne
des
rapports particulièrement
endus
avec
l empire
d Orient. Mais le
dispositif
st encore
plus
compliqué que
ne
le
montrent
es
apparences.
Et ce
sont
justement
es
images qui
mettent n évidence t qui élucident e problème,une imageen parti-
culier dont nous allons
parler,
et
qui
a eu une
diffusion
xtraordi-
naire,
mais concentrée
dans les
Pouilles
normandes
du XIIe
iècle.
Dans
le
reste
de
l Italie cette
mage
est
inconnue,
ou
insérée
dans des
contextesnon
significatifs.
L image
a
pour sujet
Alexandre
le Grand
qui
monte au
ciel.
L histoire,
tirée
du
Roman
grec
du
Pseudo
Callisthène,
raconte
que
le
grand
Macédonien,
ayant
achevé ses
conquêtes
sur
la
terre,
voulut
s approprier
ussi
le
ciel.
Il
attela
deux
griffons des
animaux
terri-
bles d une
grande
férocité,
moitié
aigle
et
moitié
ion)
et il
leur
mon-
trait deux lances sur lesquelleson avait embroché de la viande, enles tenant bien haut devant leur tête. Les
griffons,
élançant
pour
attraper
a
viande,
portèrent
Alexandre
usqu au
ciel.
Cette
égende
e
trouve
dans
la
traductionatine
du
Roman
effec-
tuée
au
milieu du
Xe
iècle
par
un
certain
Archiprêtre
éon,
qui
fut
-
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8
le
point
de
départ
de
l incroyable
fortunede ce
texte en
Occident,
car
il
fut traduit
ensuite,
si
l on
peut
dire,
dans toutes
les
langues.
Dans le monde
byzantin,
idée de
l Ascension au ciel
est
favorable-
ment
accueillie et
interprétée
c est tout le
contraire
dans le
monde
occidental.
La
prétention
la
domination
universelle
propre
à
l idéologie
byzantine
st indissolublement
iée
aux
conquêtes
extraordinaires u
Macédonien
l empereur yzantin,
oi
des
Romains,
se
retrouve
xpli-
citement n celui
qui
avait
dominé
e
monde
entier,
<
e
roi
des Macé-
donienset des Perses
».
Dans les
discours
ncomiastiques
dressés ux
différentsmpereursa comparaisonavec Alexandredevient insi un
topos
littéraire
on
admire surtout
es
exceptionnelles
ualités
mora-
les
et ses
prodigieuses onquêtes.
Parce
qu Alexandre
est
continuelle-
ment
proposé
en
modèle
aux
empereurs yzantins,
l
finit
ar
se
trans-
former ui-même
n
empereurbyzantin.
L entreprise
entée avec
les
griffons
st donc choisie
pour
orner une
couronne
princière,
est le
thème
principal
d ornement une
coupe
destinée un
prince
t il
est
reproduit
deux fois sur un
grand
vase de
vermeil,
dont
le
proprié-
taire ne
pouvait
être ui
aussi
que
riche et
noble. Le
même
sujet
sert
aussi à décorerdifférents
bjets
destinés u
Palais de
Constantinople.
Il fut un tempsoù, à Sainte-Sophie,a sculpture evait êtreenri-
chie de
perles
et de
pierresprécieuses,
omme en
témoignent
riste-
ment
ujourd hui
les
chatons
restésvides. Le lieu
où sont
placées
les
sculptures
ans les
églises
montre lairement
u on
attribuait ux ima-
ges
une valeur
prophylactique.
Cette
signification
potropaïque
des
figures
se
trouve confirmée
pour
une autre
catégorie
d objets
-
bagues, pendentifs,
hylactères quand
on
les
rapproche
d autres
images
dont
l interprétationdentique
ne fait
aucun
doute.
Dans le monde
occidental,
absence même d un
empire
et un
cours différent es événements
rivent
e son halo la
figure
u
Macé-
donien,
et c est au contraire
Église
qui
s empare
de la
légende
d Alexandre et de ses griffonst en fait e symbolede l orgueilcou-
pable.
La
conquête
du ciel a
toujours pour l Église
une
connotation
démoniaque,
c est
toujours
de toute
façon
un acte
condamnable
s il
procède
de l initiative
umaine
il
suffira
our
s en convaincre e
rap-
peler
ascension
de Simon e
Magicien
dans les
ÉvangilesApocryphes,
la construction
e la
tour de Babel dans l Ancien
Testament t sur-
tout
le vol
suggéré
u Christ
par
Satan,
comme une
dangereuse
en-
tation.
En terre
normande,
ascension d Alexandre
pparaît
ou
appa-
raissait dans
les
pavements
de
mosaïques
dans
les
églises importan-
tes,
elle
était
donc destinée
être
piétinée.
Cette
signification éga-
tive de l ascension est éclairéeet renforcée ar la proximité ur lesmêmes
mosaïques
de la tour de Babel et du
péché
d Adam et Ève
(à
Otrante,
Trani et
Tárente).
À
Bitonto,
où le
même
sujet
est
figuré
sur
un
chapiteau,
son
interprétationégative
st rendue
plus
évidente
encore
par
la
représentation
u désastreux etour
ur
terre.
Cinq
fois
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
15/260
9
au moins
ascension
d Alexandre donc été choisieen terre ormande
pour
décorer
un
édifice
sacré. Une
telle
prédilection
évèle
e
carac-
tère
exemplaire
ue
confère
Église
à ce thème
profane,pour
le déve-
lopper
en un discours
religieux
estiné
à
illustrer
e
péché d orgueil,
mais
elle semble aussi
suggérer
ue
la source
inspiratrice
st
proche
de
milieux iés
à la cour normande.
La
figure
Alexandre,
modèle constant es
basileis
sembleavoir
attiré ur elle
la
perpétuelle
ostilité es Normands envers es
Byzan-
tins,
usqu à
devenir
e
symbole
du roi
grec
vaincu. Et de même
que
sur
les
mosaïques
du
pavement
de la
cathédrale
de
Brindisi,
e
choix
de représentera luttede Roland et de ses compagnons ontre es Sar-
rasins doit sans
doute
être
mis
en relation vec le rôle du
port, point
de
départ
des croisés
qui
embarquaient
à
pour
aller
combattre
n
Orient
e même ennemi
nfidèle,
de même
les
représentations
multi-
ples
de l ascension
d Alexandre dans
une
région que
revendiquaient
encore es
empereurs
yzantins,
emble confirmer
ue,
à la
prédilec-
tion
pour
un
sujet
bien
adapté
à une
composition
héraldique,
s était
surajoutée
une raison
politique
bien
précise, qui
justifie
non
seule-
ment
e choix et la diffusion
e ce
thème,
mais aussi
l interprétation
négative
de l aventure.
En effet à où
manquait
-
comme
nous
l avons vu à Bitonto
-
un parallèle biblique susceptible éclairer sa
signification,
n a voulu
représenter
a
pitoyable
conclusion du vol.
Dans
la
mosaïque
d Otrante,
ascension d Alexandre
st
placée
à côté
de la
tour de Babel. Mais ce n est
pas
tout.
Une des
inscriptions
ui
perpétuent
es noms
des commanditaires t
portent
es années d exé-
cution
(1163-1165), désigne
Guillaume
er
comme rex
magnificus
t
triumphator.
e
dernier
erme,
bsent
de la
titulature es
rois nor-
mands dans
leurs documents
écrits,
était au
contraire ouramment
employé,
du
moins
usqu au
VIIe
iècle,
dans la
titulature es
empe-
reurs
byzantins.
Par sa raretéet
par
son insertion ans un
contexte
parfaitement
lair,
ce
qualificatif
e
triumphatoraraît
chargéd impli-
cations anti-byzantines, autant plus que justementdans les années
où
est
réalisée a
mosaïque,
es
rapports
ntre
Guillaume
er
et
Manuel
Comnène étaient rès
perturbés.
ascension
d Alexandre donc
pour
fonction
d exprimer
t
de
diffuser ne
idéologie politique
complexe.
Les Normands
adoptent
envers
empire byzantin
un
comportement
ambivalent,
ait à la
fois d hostilité t
d attrait,
puisque
tout
compte
fait
l
est
l unique empire
uquel
nul autre
ne
peut
être
comparé.
De
cet
empire,
es Normands veulent
passer
pour
les
«
héritiers natu-
rels,
et ils imitent
usqu à
la formede
vêtement
es basileis Le
pro-
tagoniste
e l aventure
éleste st le
plus
grand
roi
grec
de
l Antiquité,
il
reste e modèle
«
actuel
»
pour
les
empereurs yzantins,
mais
il
est
vaincu dans un épisode qui illustrait a thématiquedu pouvoir.
L intelligence
de
l image
double
donc
sa beauté.
Traduit
de l italien
par
Lada
Hordynsky-Caillat
t
Odile
Redon
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
16/260
10
Orientation
bibliographique
L exemple
de la carte
médiévale t celui de
l ascension d Alexan-
dre,
sont
extraits
e C.
Frugoni,
«
La
figurazione
assomedioevale
dell Imago
Mundi
»
dans
«
Imago
Mundi
»,
la
conoscenza
scientifica
nel
pensiero
bassomedioevale
Todi,
Accademia
Tudertina, 1983,
pp.
225-269 C.
Settis-Frugoni,
«
HistoriaAlexandři
levati
per
gri-
phos
ad
aerem
»,
origine,
conografia fortuna
di un tema
Rome,
Istituto
Storico
Italiano
per
il Medio
Evo,
1973.
Pour un
aperçu
clair du
caractère t du
développement
es
étu-
des iconographiques, n peut consulter article« Iconografiae Ico-
nologia
»
dans
Enciclopedia
Universale ell Arte édité
par
la Fonda-
zione
Cini di
Venezia,
Sansoni,
Florence.
Pour les
dictionnaires
pécialisés
nous
rappelons
L.
RÉ
u,
Ico-
nographie
de
l art chrétien
Paris, P.U.F., 1956-1959,
3 tomes et
6 volumes
t.
I,
Introduction
énérale
t.
II,
Iconographie
e la
Bible
vol.
I,
Ancien Testament
vol.
II,
Nouveau Testament t.
III,
Icono-
graphie
des Saints
vol.
I-II,
Saints
vol.
III,
Répertoires,
ables
Voir
aussi
le
Lexikon der
christlichen
konographiedirigépar
E.
Kirsch-
baum et
plusieurs
ollaborateurs,
n 3
volumes,
Rome-
Vienne,
1968
les deux derniers olumessont consacrésà l iconographiedes saints,
avec un
index des
attributs,
es
lieux et des artistes.
Il y
a en outre
des
renvois
aux mots
en
anglais
et en
français.)
À
déconseiller,
ar
contre,
st
l ouvrage
de O.
Beigbeder,
Lexique
des
Symboles
Zodia-
que,
1969,
dont
il
existe
ussi
une traduction n italien en l absence
d une
bibliographie
ustificative,
es
articlesdonnentdes
explications
trop
souvent
antaisistes,
ubstituant
la
méthode
historique
n
ramas-
sis
d opinions
t de
mythologies
es
plus disparates,
ans
aucune valeur
critique.
Rappelons
encore
deux
ouvrages
qui,
sans
avoir la formed un
dictionnaire,
euvent
y
être assimilés
par
l étendue des
sujets
traités
E. Mâle, L art religieux u XIIe iècle. Étude sur les originesde
l iconographie
du
Moyen Age
Paris,
1922
(nombreuses
ééditions)
L art
religieux
u
xme
siècle en
France Étude
sur
l iconographie
du
Moyen
Age
et
sur ses sources
d inspiration
première
d.
Paris,
1898
(8e
éd.
1948)
L art
religieux
e la
fin
du
Moyen Age
Étude
sur l ico-
nographie
u
Moyen
Age
et
sur ses sources
d inspiration
Paris,
rééd.
1931.
R.
Van
Marle,
Iconographie
(ļe
l art
profane
lre
éd.
1931
rééd.
New
York,
Hacher
Art,
1971.
E. Mâle
(1862-1954)
a été
parmi
les
premiers
historiens
utili-
ser a méthode conographique ses œuvres, crites ans un style xtrê-mement lair et
fluide,
plein
de chaleurhumaine et d une
singulière
modestie,
où de
lumineuses
ntuitions
ont
exprimées
n
de
brèves
phrases
presque
hésitantes,
ont
fondamentales
our
l étude non seu-
lement
de
la
France,
mais de
toute
l Europe
médiévale.
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
17/260
11
On ne
peut évoquer
e nom de
Mâle
sans
penser
mmédiatement
aux
grands pionniers
de la
recherche
conologique Aby
Warburg,
Fritz
Saxl
et
Erwin
Panofsky. Warburg
(1866-1929)
surtout tu-
dié les influences t la
persistance
e la
tradition
lassique
dans l art
et dans la culture
ccidentale.
En
1902,
l
fonda à
Hambourg
a
War-
burg
Bibliothek,
ui possède
aussi une
très
mportante
hotothèque,
une des
plus
richesdu
monde
par
sa
collection de
reproductions
e
monuments. lle se trouve
aujourd hui
à
Londres,
où
elle fut
trans-
férée
à
la suite de la
persécution
ntisémite t
placée
près
du Cour-
tauld Institute
e
l Université e
Londres
(auquel
elle a
été
rattachée
en 1944 en tantque Warburg nstitute). ne bellebiographie u cher-
cheur a
été
publiée par
E.H.
Gombrich,
Aby
Warbyrg, Londres
1970,
trad. it.
Milan,
1983).
Un recueil
d écrits
de
Warburg
a
aussi
été
traduit n
italien
La rinascitadel
paganesimo
antico
Contributi
alla
storia della cultura
Florence,
La
Nuova
Italia,
1968
(réimprimé
ensuite)
en
français,
crits
florentins
Paris,
1990,
ainsi
que
R. Ku-
bánsky,
E.
Panofsky,
F.
Saxl,
Saturne t
la
mélancolie
Paris,
Gal-
limard,
1989.
Rappelons
de Fritz
Saxl,
directeur
endant
de
longues
années du
Warburg
nstitute
1890-1948),
La storia
delle
immagini
Bari,
Laterza, 1965,
réimprimé,
t,
plus
récemment,
a
fede
negli
stri,
dall antichitàal Rinascimento Turin, Boringhieri, 985.
L édition
française
t italienne
consacré un
plus grand
intérêt
à
l œuvre
d Erwin
Panofsky
(1892-1968)
citonsen
français
a
pers-
pective
comme
forme
symbolique,
rad,
fr.,
Paris,
éd.
Minuit,
1975
L œuvre
d art et
ses
significations
Essai
sur les
arts
visuels
trad,
fr.,
Paris,
Gallimard,
1969
La
Renaissance et
ses
avant-courriers
ans
l art
occidental trad. fr.
Paris,
1990
Essais
d iconologie
Les thè-
mes humanistes ans
l art de la
Renaissance
trad,
fr.,
Paris,
Galli-
mard,
1967.
Pour un
panorama
exhaustif
es
nouvelles
orientations es
étu-
des
iconologiques
t
pour
un
profil
précis
d un
de
ses
plus
prestigieux
représentants, .H. Gombrich, nous renvoyons aux articles de
C.
Ginzburg,
«
Da A.
Warburg
a
E.H.
Gombrich
Note
su di un
problema
di
metodo)
»,
Studi
Medioevali
s.
III,
vol.
VII,
2
(1966),
pp.
1013-1065
t S.
Settis,
«
Warburg
ontinuatus,
escrizione i
una
biblioteca
»,
Quaderni
storici
XX,
1
(1985), pp.
5-38.
Outre
les
répertoires
pécialisés,
l
existe,
pour
les
études icono-
logiques,
des
bibliothèques
ù
ces
études sont
grandement
acilitées.
Nous avons
déjà
mentionné a
bibliothèque
Warburg
à
Londres. À
Poitiers,
annexe
du
Centre des
études
supérieures
e la
civilisation
médiévale briteune
trèsbelle
bibliothèque
vec
une
photothèque
ur-
tout
intéressante
our
l art
médiéval
français.Un outil indispensablepourtouttravail conographique stY ndex
of
ChristianArt un cata-
logue
comportant
ous
les
monuments e
l art
paléochrétien
usqu au
XIVe
iècle.
Continuellement
is à
jour,
il
se
trouve
Princeton,
mais
heureusement
eux
copies
tenues à
jour
sont
déposées
à la
Bibliothè-
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
18/260
12
que
Vaticane
à Rome et à la
bibliothèque
ationaled Utrecht. l
s agit
en fait d un double
catalogue,
l un
comportant
n
fichier t
l autre
des
photographies.
ans le
premier
es fiches
ont classées
par sujet
on
y
trouve une brève
description
e
l œuvre en
question,
la
date,
le lieu où elle se
trouve,
es matériaux
ui
la
composent
t une
biblio-
graphie
concise un numéro renvoie au deuxième
catalogue
où l on
trouve des
photographies
e l œuvre.
(À
la
Bibliothèque
Vaticane
il
n y
a
que
la
photocopie
du
catalogue
photographique.)
On
peut
aussi
faireune demande
de
renseignements
t de
reproductions
l Univer-
sité
de
Princeton.
Les principales evuesconsacrées ux études conologiquessont
The
Journal
f
the
Warburg
nstitute,
ahiers
Archéologiques,
ahiers
de Civilisation
médiévale
Pour les
gestes
et leur
signification
F.
Garnier,
Le
langage
de
l image
au
Moyen Age. Signification
t
symbolique
vol.
I-II, Paris,
Le
Léopard
d Or,
1982-1989et Thesaurus
conographique
Système
descriptif
es
représentations
Paris,
Le
Léopard
d Or,
1984.
L adaptation
de
la
bibliographie
n
français
a été
réalisée
par
Jérôme
Baschet.
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
19/260
Médiévales
2-23,
rintemps
992,
p.
13-30
Isabelle
TOINET
LA PAROLE INCARNÉE :
VOIR
LA
PAROLE
DANS LES IMAGES
DES
XIIe ET XIIIe
SIÈCLES
Au
Moyen
Age,
l'Incarnation
du Verbe divin constitue
pour
de
nombreux
héologiens
e
point
de
départ
de toute une
réflexion ur
la
parole.
Selon saint
Augustin,
et événement
e
l'histoire
ermet
e réha-
biliter e langagehumain1.Dans la culturemédiévale,d'une manière
plus générale,
e
corps
est
toujours
très
présent orsqu'il
est
question
de
la
parole.
Il
peut
faire
'objet
d'une véritablemise en scène
pour quali-
fier el ou
tel
type
de
propos
: le
blasphème,
es
paroles
médisantes,
ar
exemple,
viennent
lutôt
du
ventre,
es
«
régions
asses
»
et
cherchent
à
parvenir
usqu'à
la bouche2 tandis
que
la
parole
divine
est directe-
ment
posée
dans la bouche
de celui
qui
est
chargé
de
la transmettre3.
1. Pour ette
uestion,
oir
'ouvrage
e M.L.
Colish,
A
study
n themedieval
theoryfknowledge
Newhavent
Londres,968,
t
plus articulièrement
e
chapitre
Saint
Augustine
the
xpressionf
the
Word.
2. Par xemplen xtraite a Règle u Maîtretexteédigéendantepremier
quart
u
vie
iècle
ar
un
moine ont n
gnore
e
nom,
voque
lairementn
trajet
desmauvaises
aroles
u bas vers e haut u
corps
«
Quand
n
péché
monte
e la
racine u cœur t
qu'il perçoitue
e mur xtérieure
clôture,
utrementit a
bou-
che t
esdentsui nterdit
e
sortir,
l
devra
etournererechefla
racine u
cœur,
y périr
ans avortement
u lieu e naître
ar
a
langue
tde
grandirusqu'au
hâti-
ment. La
règle
u Maître
introd.,
extet trad, e A.
Vogüe,
ources
hrétiennes
106,
p.
402-403.
3.
Dieu
posa
a
parole
ans a bouche e Balaam
«
Dominusutem
osuit
er-
bum
n ore
uo
(Nb.
23,
5).
Dieu
parlant
Daviddans e désertui demande
'ouvrira bouche
«
Dilata
os tuum t
mplebo
llud
(
Ps
81,
11).
Ce versetst llustréu folio 35du
psautier
e Saint-
lban. ans
a
partie
upé-
rieureel'initiale,ieu epencheers avid tregardeans a direction.a maindroitestposée ur ne orte ebaguetteui part e sabouchetaboutitans elle
du
psalmiste.
ette
aguette
st
probablement
e
symbole
e la
parole
ivine
eçue
directement
ar
e roiDavidde la bouche e celui
ui
a
profère.
ette
arole,
e
message
iennent
'en
haut ommee montrenta
position
e
Dieu t e
mouvement
de son
corps.
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
20/260
14
Mais
puisqu'ici
nous
parlons d'images,
l'incarnation 'est
égale-
mentun mode
de
présenceparticulier
e
la
parole,
un mode de
pré-
sence
par
lequel
elle accède
au
visible.
Que
l'on
pense
à l'acte de
parler
ou à la
formeoralisée
de la
pensée
et des
sentiments,
a
représenta-
tion
de la
parole
par l'image
pose
en effet
problème
cette dernière
est
fixeet
muette.Dans les
lignesqui
suivent,
l
s'agit
donc d'exami-
ner,
à
partir
de
quelques
exemples4,
omment ux
XIIe
et
xme
siè-
cles
ce
phénomène
sonore
prend corps
dans les
images.
Le
corps,
c'est
d'abord la bouche
qui
s'ouvre
pour exprimer
es
pensées
et les sentiments
ous
la forme de sons
articulés. Dans les
images, e rapport ntre es mouvements e la bouche et la naissance
de
la
parole
ne
peut
être
pensé
en ces termes
le
corps
ne donne
pas
à
entendre
mais
plutôt
voir de
la
parole.
En
un
premier emps,
nous
nous
attachons
à montrer
a
pertinence
de cette
notion
du
corps
comme
support
visuel
de
la
parole.
D'une manière
plus
métaphorique,
e
corps
de
la
parole
dans
l'image,
ce sont
aussi les
mots
qui,
au sein de la
représentation
igu-
rée
ou en ses
marges,
aissent
omme une
trace du
discours
prononcé.
En un second
temps,
nous
posons
donc
la
question
du
statut
e l'écri-
ture
et de son
rapport
à la
parole
dans
l'image.
Cette enquête ne propose pas une étude chronologique u sens
strict
du
terme,
mais elle est attentive la manière dont le
passage
d'une
«
culture
de
mode oral
»
à une
«
culturede mode
écrit
qui
s'opère
peu
à
peu
entre
e
XIIe
et
le
xiiie
siècle,
a
pu
influencer
es
représentations
igurées
e la
parole
: le mot
«
corps
»
tel
qu'il
vient
d'être
successivement
t brièvement
éfini
permet
de rendre
ompte
de ces
évolutions.
Ouvrir
a bouche
L'image étantpar naturemuette, eules l'ouverture u la ferme-
ture
de la
bouche
peuvent
a
priori
permettre
e
distinguer
ntre e
silence
t la
parole
: la visibilité
mmédiate
u discours
prononcé
em-
ble
bien résider
dans ce
mouvement
'ouverture.
Pourtant,
à
regar-
der
les
images
de
plus
près,
on réalise
qu'il
est loin d'en
être tou-
jours
ainsi
Différentes
echerches,
elles
de l'abbé
Garnier notam-
4. Les
llustrations
etenues
our
'enquêteroviennent
e
manuscrits
nglais.
es
derniers
ffrent
n
effet e
nombreuses
eprésentations
ntéressantes
t
originales
e
la
parole.
aut-il
tablir
n
ien ntre
et
ntérêt
our
a
figuration
e la
parole
t
la « situationinguistiqueparticulière
e
'Angleterreprès
a
conquête
ormande
la cohabitationvec 'anglaisomprisetous,t e atin,u« françaisnsulairedont
on
encourageait
'utilisation
ans
esclasses
ociales
levées Nous
nous ontentons
ici
de formuler
ne
ypothèse
ont
'exploitation
ous
ntraîneraitors es
imites
mpar-
ties
cet
rticle.e
dernier
end
ompte
e 'état
'une echerche
ncours t ne
pré-
tend ucunement
l'exhaustivité
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
21/260
15
ment sur
le
langage
des
gestes
au
Moyen Age5,
ont bien mis
en évi-
dence
le fait
que
la
parole
et
la communication
rale ne sont
pas
for-
cément
représentées
ar
une
ouverture
e la
bouche mais
plutôt par
un
geste
de
la main ou
par
un
phylactère.
our tenter
de
compren-
dre
ce
qui
se
passe
dans
les
images,
il
faut
penser
'ouverture
t la
fermeture
e la
bouche en fonction
des lois
qui
leur
sont
propres,
et des
problèmes
que pose
une
telle
représentation.
L'image
n'est
pas
seulement
muette,
elle est
également
fixe.
Il
n'y
a donc
pas
de
distinction
ossible
entre
'ouverture e la bouche
et la bouche
ouverte. Ouvrir
a bouche
suppose
un mouvement
ui
modifie 'aspect de cettepartiedu corps : le passage de la bouche
fermée
on ne
voit alors
que
les lèvres
-
à la
bouche ouverte
-
bouche
qui
se
présente
lors
comme une cavité.
Représenter
'ouver-
ture
de la
bouche,
c'est-à-dire
a bouche
qui
s'ouvre,
c'est
forcément
montrer
a
bouche
ouverte.
Or,
pour
des
raisons aussi
bien
morales
qu'«
esthétiques
,
il
ne
sied
pas
de
représenter
n
corps
ouvert,
en
quelque
sorte
inachevé.
Ainsi,
les
personnages
dont la bouche
est
ouverte
ne sont-ils
as
forcément
igurés
n trainde
parler
cette
posi-
tion
exprime
ouvent
un
rang
social
inférieur,
ne nature
mauvaise
ou méchante.
Le contexte
peut
certes nous
permettre
'associer le
mouvement 'ouverture u plus exactementa positionouverteà la
prise
de
parole,
mais
l'artiste,
pour
évoquer
l'action de
parler,
n'en
condamne
pas
moins
a bouche
à demeurer
erpétuellement
uverte.
La
représentation
e
l'action se trouve donc elle aussi
condamnée,
avec
l'image,
à
devenir
eprésentation
'un
état6. L'idée d'une ouver-
ture
qui
se
prolonge
au-delà du
temps
nécessaire
la
prise
de
parole
doit être
replacée
dans
le cadre
plus
général
de cette
onception
médié-
vale des mouvements
u
corps
selon
laquelle
le beau
geste,
le bon
geste
doit
correspondre
ans sa
configuration
une fonction
précise
et rester n tout
état de
cause,
modeste7.
Au
xiiic
siècle
par
exem-
ple,
Barthélémy 'Anglais,
reprenant
dans le
De
Proprietatibus
Rerum un passage de YHistoire des animaux d'Aristoteremarque
qu'«
à former a
voix,
il
faut
par
nécessité
uvrir t
clore les lèvres...
et
que
les lèvres des hommes sont
molles et
charnues et se
séparent
l'une
de l'autre... afin de
pouvoir
se fermer
la fin
de la
parole
».
Barthélémy'Anglais
ne
pensait
bien évidemment
as
aux
images
mais
5. F.
Garnier,
e
langage
e
l'image
u
Moyen
ge.Signification
t
symboli-
que
t.
1, 1982,
p.
135-136.
6.
Sur
ette
uestion,
onsulter'articlee M.
Schapiro,
Theme f state
nd
themefaction
,
Wordsnd
ictures.
n the
iteral
nd
ymbolic
n the
llustration
of
a textLa
Haye
t
Paris, 973,
p.
17-36.
7. Pour neréflexionur esgestesuMoyen ge, oirJ.-Cl.chmitt,Ges-tus , « Gesticulatio. Contributionl'étudeuvocabulaireatinmédiévalesges-
tes
, Paris,
981
t
du même
uteur,
a raison es
gestes
ans
'Occident
édiéval
Paris,
990.
8.
BarthélémyAnglais,
e
grand
ropriétaire
e touteshoses
trad, e J.
Cor-
bichon, aris,
556.
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
22/260
16
son
observation
st
importante
ar
la
préoccupation
dont
elle
témoi-
gne,
d'établir une
correspondance
ntre
un
mouvement u
corps
et
la
fonction
précise
de ce
mouvement.
Une
bouche
ouverte
n'est
pas
toujours,
dans
l'image,
le
signe
d'une nature
mauvaise ou
d'intentions
hostiles.
Cette
position
peut
être
affectée u
contraire
'une
valeur
tout à
fait
opposée.
Deux
illus-
trationsdu
psautier
de
Saint-
lban9,
le
montrent
ien
qui représen-
tent
e roi
David
adressantune
louange
à
Dieu et
dont
la
bouche
est
grande
ouverte.
Dans
ces deux
initiales
historiées,
e
geste
des
mains
est
comparable
celui de la
bouche :
elles sont
ouvertes,
endues
vers
Dieu, elles disent a mêmechose. Dans la première 'entreelles10,e
psalmiste
'adressedirectement
Dieu
debout en
face
de lui
et le
mou-
vement
de
ses mains
peut
évoquer
celui
d'une
personne
cherchant
persuader,
convaincre. n
revanche,
ieu
n'étant
pas
représenté
ans
la
seconde11,
e
geste
des
mains et de
la
bouche
dirigées
vers e
haut
est
davantage prière,
nvocation.
Alors
qu'il
invite
tous les
peuples
à
louer le
Seigneur,
eul
David
est
peint
la
bouche
ouverte,
comme
s'il
s'agissait
d'un
signe qui
en le
distinguant
es
autres
personnages,
marquait
sa
supériorité...
omme
si,
seul,
il
était
habilité
à
acclamer
Dieu
par
la
parole,
a
louange
des
trois
hommes n
face
de lui
s'expri-
mantuniquement ar le gestedes mains et de la tête evées. Le cœurdu
psalmiste
éborded'amour et de
reconnaissance
our
Dieu
et
pour
cette raison
également,
l
ne
peut
garder
a
bouche
fermée.
Dans ces deux
illustrations,
'ouverture e
la
bouche
paraît
donc
étroitement
iée
à la
qualité
extrême e
la
parole
:
si la
communica-
tion
orale n'est
pas
forcément
eprésentée
ar
une
bouche
ouverte
t
si,
par
conséquent,
une bouche
ferméene
signifie
pas
toujours
le
silence,
on doit bien
admettre
ue
cette
dernière
position
-
la
bou-
che fermée
-
est finalement
bâtarde dans
l'image.
Les
artistes
n'auraient-ils
as
insisté lors sur
l'ouverture e la
bouche
pour
signi-
fier e
caractère
xceptionnel
e
ce
qui
la
concerne
une
parole
sainte
mais aussi une certainequalité de silence?
9. Ce manuscritu
xne
iècle ctuellementonservé
Hildesheim
probablement
étéréalisé
ar
desmoines énédictins.e thèmee a
parole ccupe
ne
place
arti-
culièrement
mportante
ans 'illustrationt notamment
ans es
nitiales
istoriées.
D'après
.R. Dodwell
ui
a étudié
iconographie
u
psautier,
e
contenue la
règle
bénédictine
beaucoup
nfluencée choix es
mages
saint enoît
onsidéraita lan-
gue, rgane
ifficilementontrôlablet
toujoursrêt provoquer
a
discorde,
omme
véritablement
iabolique.
our ette
aison,
e
moine evait
xprimer
a
soumission
à Dieu
par
es œuvres
lus ue par
es
paroles.
Lepsautiere Saint-Albanst ifficile'accès,mais npeutonsultere fac-similépublié arO. Pacht,C.R.Dodwell t F. Wormald The aint lbans salterLon-
dres,
he
Warburg
nstitutef
London,
960.
10. Fol.51b
«
Jeveux
roclamer
a
Grandeur,
eigneur(
Ps
29,
2).
11. Fol.
55a
«
Tous es
peuples,
attez es
mains,
cclamez
ieuen
éclats e
joie
»
(Ps.
46,
2).
-
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17
Montrer a
langue,
tirer a
langue
Cette
hypothèse
emble se vérifier
orsque
Pon
considère 'utili-
sation d'un
geste
où la
bouche
s'impose
davantage
encore au
regard,
geste
où le
corps
comme
projeté
à
l'extérieur,
e
trouve en
quelque
sorte exhibé la
langue
tirée12.
e
geste
est souvent
figuré
dans les
images
médiévales en
signe
de
dérision,
es
juifs,
es
hérétiques
irent
la
langue
à un
crucifix,
oire à Dieu
lui-même,
otamment
ans
des
scènes illustrant
'Apocalypse13.
l
est
plus surprenant
e le
retrou-
ver
dans
un contexte ù il
figure,
u
contraire,
ne
prière,
ne
louange
adresséeà Dieu, comme au folio55 b du psautierde Saint-Albanpar
exemple
fig. 1).
Cette
image
illustre e début
du
psaume
44
:
«
Je me
sens bouillonnant
'inspiration our
e
beau
discours
ue
j'ai
à faire
je
vais récitermon
poème pour
le roi.
Je
voudrais e faire
avec
autant d'art
que
le
graveur uand
il
trace ses
lettres
(
Ps
44,
3)
Fig.
1.
Psautier
e
Saint-Alban
xiic
siècle,Hildesheim,
fol.
55B,
Ps.
44-2,
nitiale .
12. Sur ette
uestion
u
corps
ranchissant
es
propres
imites,
oir
ouvrage
e
M.
Bakthine,
'œuvre e
François
abelais t a culture
opulaire
u
Moyen
ge
et ous
a Renaissance
Paris,
970
ten
particulier
e
chapitre
'image
rotesque
u
corps
hez
Rabelais
t
ses sources
pp.
319-336.
13.Biblemoraliséee VienneVienne, s. 554, ol. 9,xme iècle « les rois
et
es
princes
i
gabent
or onfessors...t or
fonta moe sont
eprésentésar
rois
hommes
ui
tirenta
langue
deux
eligieux.
Biblemoralisée
e
Paris
Paris, N,
ms. lat.
11560,
ol.
04,
iiie
iècle un
uif
tire a
langue
ans a direction'uncrucifix.
-
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18
À
l'intérieur e la lettre
istoriée, avid,
assis
sur un
trône,
dési-
gne
d'une
main
sa
langue
tirée et tientde
l'autre
un
stylet
ans un
geste ndiquant qu'il
est
prêt
à écrire. Cette
langue que
le
psalmiste
ne
peut
contenir l'intérieur e sa bouche
exprime
a
fébrilité,
on
enthousiasme
elle a
par conséquent
une
signification
out
à fait
pro-
che de la bouche
grande
ouverte
dans les deux
images
déjà évoquées.
Le
sens
du
stylet
enu
dans
la main
est en
revanche
plus
équivoque.
Selon C.R.
Dodwell,
c'est
en
représentant
u
Christ
que
David
dési-
gne
sa
langue
et
en
représentant
es
prophètes
u'il
tientun
stylet14.
Cette
nterprétation
st
problable
mais elle ne
tient
pas
suffisamment
comptedes problèmesde transposition u textebibliquedans le lan-
gage figuré.
n
effet,
e
stylet voque-t-il
niquement
e
geste
de l'écri-
ture en tant
que
tel ? N'est-il
pas
aussi la
traduction n
image
du
souhait
de David de
parler
comme le
graveur
trace
ses lettres La
main
qui désigne
a
langue
tirée uraitdans ce
cas
pour
fonction
'éta-
blir une sorte
de lien entre a
parole
et l'écriture ce
mouvement e
l'index
pointé
sur
la
langue
serait
en
quelque
sorte e
«
comme
»
de
la
comparaison
et
tendrait
faire de la
parole
un
geste.
La forme
de
la
langue, organe
de la
parole,
n'est
d'ailleurs
pas
sans
rappeler
celle du
stylet,
nstrument
e
l'écriture. ans
le
cadre de
cette
nalyse,
il importe galement e distinguerntre e geste qui est véritablement
celui de tirer a
langue
et celui de montrer a
langue
tirée
l'un,
des-
tiné à
autrui,
est
agressif
andis
que
l'autre,
en
quelque
sorte inof-
fensif,
ttire
u contraire 'attention ur celui
qui l'accomplit.
Et
dans
la
figure
1
en
effet,
David commente ui-même a
manière dont
il
s'adresse
au
Seigneur
au
moyen
de sa
main
qui pointe
sa
langue
et de celle
qui
tient e
stylet,
l montrecomment
l
parle
à Dieu.
Dans
l'illustration
'un
passage
du
psaume
68
(fig. 2),
le roi musi-
cien
est
également
eprésenté
vec
la
langue qui
sort de
sa
bouche
:
il
implore
e
Seigneur
plus qu'il
ne lui
adresse des
louanges.
«
Réponds-moi,
eigneur
c'est
Ta
bonté
qu'il
me faut.
Que
Ton
grandamourTe tourne vers moi. Ne Te détourneplus de moi, Ton
serviteur15.
14. C.R.
Dodwell,
op.
cit.,
p.
234.
15.Ps.
68,
17.
-
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19
Fig.
2. Psautier e Saint- lban XIIe iècle,Hildesheim,
fol.
61D,
Ps.
68-17,
nitiale .
Contrairement
l'image précédente,
e
psalmiste
ne montre
pas
sa
langue
tirée.
Doit-on
comprendre
lors,
qu'il
tire
a
langue
à Dieu ?
Étant donné
la nature
du texte
llustré,
n ne saurait
attribuer
ne
valeurnégative u comportement e David, mais isolé de son con-
texte,
l
risquerait
ortd'être mal
interprété.
ans
cette
mage,
es
dif-
férentes
rières
dressées à
Dieu
sont
autant de
gestes accomplis
en
direction
de Celui
dont
il
souhaite être entendu. Le mouvement e
la
main droite
qui
cherche
tourner a tête de Dieu dans sa direc-
tion est
l'expression orporelle
de
cet
amour,
de cette
attention
u'il
lui demande.
De
même,
'index
pointé
sur son
oreille
correspond
u
«
réponds-moi
du
psaume,
comme si du texte
l'image,
on
passait
de la
parole
à l'écoute.
Et la
parole
de David
elle-même,
arce
que
prière,
st
représentée ar
un
geste
la
langue
tirée.
La
mise en valeur
visuelle
de
l'organe
de la
parole,
autrement
it
la
présence
rès
mar-
quée du corpsdans l'image,veutprobablementraduire ci l'intensité
de la
requête
et le désir
d'être entendu.
En
ce
sens,
le
geste
du
psal-
miste
ui
cherche tourner
a têtede Dieu dans sa direction it
peut-
être aussi
:
«
Regarde
la
prière que je
t'adresse.
»
-
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26/260
20
L'importance
de relations omme
«
voir
»,
«
regarder
,
«
indi-
quer
»
pour
la
représentation
e la
parole
se confirme
ans
d'autres
images,
en
particulier
ans les
nombreuses
llustrations
u
début du
psaume
38,
Dixi custodiam Ce
passage
biblique présentait
our
les
artistes
eux
difficultés
mportantes
t
les solutions
doptées permet-
tent de
mieux cernercertains
problèmes
propres
à
la
figuration
e
la
parole.
D'une
part,
David affirme a volonté de
garder
e
silence.
La
question
se
pose
donc de
«
dire
»
un silence
qui
n'est
pas
une
simple
interruption
e la
parole
mais une valeuren
soi,
alors
même
que
dans
l'image, la bouche ferméene correspondpas forcément u silence
D'autre
part, parole
et
silence sont intimement
iés
dans
ce
ver-
set
puisque
David
prend
a
parole
«
J'ai dit
») pour
dire
précisément
qu'il
veut
garder
e silence
«
je
garderai
ma
route sans
laisser ma
langue s'égarer, e garderai
à la bouche un
bâillon
»).
Fig.
3.
Psautier
e
Saint-Alban
XIIe
iècle,
Hildesheim,
fol.
53D,
Ps.
38-2,
nitiale .
-
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21
Dans
l'initialehistoriée
u
psautier
e Saint-Alban
fig.
3),
David,
assis
sur son
trône,
montred'une
main sa
langue
tirée
à
Dieu
repré-
senté
dans
la
partie
supérieure
de
l'image
et,
de
l'autre,
désigne
le
texte
du début
du
psaume,
celui
précisément
ui
est illustré.
l faut
se
demander
i
cette main
qui
pointe
le texte n'a
pas pour
fonction
de
justifier,
oire d'annuler
a
parole que
pourrait voquer
la
langue
tirée.
La
main montrerait
a
langue,
la
désignerait
omme
coupable
à
moins
que
cette dernière
ne
corresponde
la
premièrepartie
du
verset
«
j'ai
dit
»),
et
que
la
main
désignant
e début du
psaume
ne
précise
a nature
des
paroles
prononcées.
Mais l'index est
dirigé
vers
le verbe « custodire (protéger/défendre/surveiller)t non vers le
verbe
dicere
(dire/prononcer).
ar
ailleurs,
es illustrations
u Dixi
custodiam
où
David
montre la fois sa
langue
et le
texte,
double
geste
qui
le fait
ci se contorsionner
omme
s'il était tiraillé ntre a
parole
et l'écriture
ont,
à notre
connaissance,
peu
nombreuses.
En
ce
sens,
la valorisation
visuelle
de
l'organe
de
la
parole correspond
plutôt
à
l'expression
du silence16.
a connotation
positive
de
la
bou-
che
ouverte
dans
l'image
paraît
même
proportionnelle
la mise en
valeur du silence
dans le texte
le
psalmiste
ne souhaite
pas
seule-
ment e
taire en
fermant a
bouche,
il
veut
garder
«
comme un bail-
Ion sur la bouche ». L'image ne représente as ce bâillon auquel il
est
fait
allusion,
ni même une bouche
fermée
c'est
bien une bouche
ouverte
t une
langue
tirée,
endues
ncore
plus présentes ar
un
geste
de
désignation
qui
figurent
e silence17
Inscrire
a
parole
dans
l'image
Mais le
corps
n'est
pas toujours
seul
à
montrer e
la
parole
:
dans certaines
mages,
l'écriture
st
également
utilisée
pour évoquer
ce
phénomène
sonore.
Au folio 51b du Psautier de Saint-Albanpar exemple fig. 4),
le
roi David
représenté
ux côtés
d'un cerf
à l'intérieur e la lettre
«
Q
»,
désigne
d'une main cet animal et montrede l'autre le mot
Quemadmodum
qui reprend
e
début
du texte
llustré
par
l'initiale
historiée18.
16. Dans e Psautiere
Stuttgart
manuscritu
xe
iècle,
n
gestedentique
st
représenté
our
montrer
e
silence
u
psalmiste
«
Jen'ai
pas
encore
rononcé
n
seulmot uetu saisdéjàtout e que e vaisdire (Ps 138, ) (fol. 53).17. Dans a plupartes llustrationsuDixiCustodiamleroiDavid ésignea
boucheu sa
langue
irée.
n
revanche,
es
magesui
e montrent
achanta bouche
de sa main ont elativement
eu
nombreuses.
18.Ps.
41,
2 :
«
Comme
anguit
ne iche
près
es aux
ives,
insi
anguit
on
âme vers
oi,
monDieu.
-
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22
Fig.
4.
Psautier e Saint-Alban
xiie
siècle,Hildesheim,
fol.
154,
Ps.
41-2,
nitiale
.
Formé de lettres
lus petites ue
celles
de
l'ensembledu
psaume,
ce mot est inscrit
l'extérieur e
l'espace
de
l'image
et en retrait
ar
rapport
au texte
proprement
dit.
Cet
emplacementquelque
peu
ambigu,
entre
exte t
image,
ces
caractères ifférents
ndiquent
lai-
rement e statutparticulier u motdésignépar David. Il ne constitue
pas
un des
éléments
u
psaume
figé
sous la formede
l'écriture
mais
en est
plutôt
'écho
: le
psaume
est
comme
«
visiblement
prononcé
sous nos
yeux.
Si
la bouche de David est
fermée,
a
tête
tournée n
direction
e Dieu
prouve qu'il
s'adresse à lui. Et ce
dernier 'entend
bien,
puisqu'il pose
aussi Son
regard
ur Son serviteur. l
se
penche
au-dessus
de la lettre omme
pour
mieux le
voir,
c'est-à-dire
pour
mieux l'entendre.
Quant
au double
geste
de
désignation
u
psalmiste,
l
montre
ue
le cerf
représenté
ans
l'initiale
n'est
pas
tant
'expression
du monde
visible
que
celle
du
monde
parlé19.
Cet
animal,
en
effet,
n'a
pas
la
mêmeréalité, a même qualité de présenceque le psalmiste il est
19. Sur e contenuralde
l'image
u
xiie
iècle,
oir
'articlee M.
Camille,
«
Seing
nd
reading.
ome
isual
mplications
fmedieval
iteracy
nd
lliteracy
,
Art
History
vol.
,
n°
1,
mars
985,
p.
26-49.
-
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29/260
23
la
transposition
n
figure, ransposition
ittérale,
'une
partie
de
la
prière
dressée
par
David au
Seigneur.
l
est
le
discours fait
chair ou
plus
exactement,
'est la
parole qui,
dans cette
mage, prend
corps.
Il
faut donc
probablement
raduire e
geste
du
psalmiste
par
une
phrase
comme
«
Ce cerf
que
je
montre,
'est le cerf
dont
e parle,
c'est
le
cerf dont ces mots
parlent20.
La
parole peut
être
également représentée
par
des
mots
qui
s'échappent
d'une bouche
ouverte.
Il
convient
alors de
s'interroger
sur
la fonctionde
l'écriture sa
présence
au
sein
même de
l'image
est
en effetrarement nodine.
Dans une illustration e la vocation de Jérémie fig. 5), Dieu
debout entre
es
deux
branches
de la
lettre
V
»,
bénit d'une main
le
prophète
t
tientde l'autre un
phylactère
ur
lequel
est
inscrite
a
phrase Prophetam
n
gentibus
dedi
te. Cette
phrase
prononcée
au
moment ù Dieu choisit
Jérémie
omme
prophète
t
où
il
lui
demande
de
répandre
a
parole
à
travers
e
monde,
ui
est en
quelque
sorte
physi-
quement
dressée
le
phylactère,
upport
e la
parole
divine,
n
témoi-
gne
qui, depuis
la main de
Dieu,
se déroule
pour
atteindre
inalement
le
genou
du
prophète.
l
faut noter
comment e
phylactère
asse
sous
l'initiale d'un mot
signifiant
ui-même
paroles
»
(initiale
«
V
»
du
mot Verba).Des relations omplexes 'établissent onc dans cetespace
entre
'écriture
t
les
éléments
figuratifs
our
montrer a
parole.
Jérémie e
regardepas
le
phylactère
il
a la
tête
complètement
renversée n arrière t
ses
yeux
fixent
ieu.
Ses mains
sont
evées
dans
un
geste
à la fois
d'adoration
et
d'imploration.
Quant
à sa
bouche,
elle
est,
comme ses
yeux
et
ses
mains,
également
dirigée
vers
e
haut
et
surtout,
rande
uverte,
lle
laisse
s'échapper
rois
A
».
Au-dessus
de la tête du
prophète
ont écrits
es mots
adressés
à
Dieu
en
guise
de
réponse
Domine Deus
21
. On
note
aussi
dans
la
partie
supérieure
de
l'image, près
de
Dieu,
un autre
«
A
»
surmontéd'un
tilde.
La manière ont
sont
nscrits es motset
ces
lettres
articipe
irec-
tement la mise en scène de la parole. En effet, 'est par opposition
au
message
divin
transmis ous la forme
du
phylactère
ue
les
mots
sortant irectemente
la bouche de
Jérémie
rennent
ans cette
mage
toute eur
valeur,
et
peuvent
'entendre
éritablement
au
sens
pro-
pre
et
figuré
-
comme
paroles
vives.
Cette
opposition
phylac-
tère/absence e
phylactère
ui
signale
deux
types
de
parole
est ren-
20.
S'inspirant
robablement
es
Etymologies
'Isidoree
Seville,
Jean
e
Salis-
bury,
ans e
Metalogicus
décrites
ettres
omme es
formes
ui
représentent
'une
partavoix,td'autreart,esobjets u'ellesmènentlaconsciencear 'intermé-diaire esyeux. es ettresdisentsouventnsilenceediscourses bsentsLit-
terae utemid est
iguraerimo
ocum
ndices
unt,
einde
erum
quas
nimae
er
oculorum
enestras
pponunt,
t
requenter
bsentum
icta ine
oce
oquuntur.
Jean
de
Salisbury,
etalogicus
P.L.
CXC1X,
ol.
840.)
21.
Jér.
,
6.
-
8/9/2019 Medievales - Nos 22-23-1992
30/260
24
Fig.
5.
Bible,
xiie
siècle,
Cambridge, orpus
Christi
ollege,
fol.
196,
nitiale .
forcée
par
la différence
'inscription
u
message
divin
t de la
réponse
du
prophète.
Bien
qu'écrite
verticalement,
a
parole
adressée à
Jéré-
mie
est
plus
facilement
isible
par
un
éventuel
pectateur
xtérieur
la scèneque par son destinataire celui-ci stfiguré gauchede Dieu
et du
phylactère
t les
lettres
e
sont
pas
orientées
ans sa
direction
mais vers a droite.Par
ailleurs,
a
phraseProphetam
n
gentibus
edi
te
se
termine u niveau de la main de
Dieu de telle
sorte
que
les
mots
-
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donnent
'impression
d'aller
ou de retourner ers
leur auteur
plutôt
que
d'émaner
de
lui22.Cette
phrase peut
être
appréhendée
n un seul
regard
sans
que
l'œil ait à
parcourir 'espace
de
l'image.
Et si l'on
dit
parole,
précisons
lors
qu'il s'agit
d'une
parole accomplie
et non
de son acte
de naissance.
Celles
qui
sont
adresséesà
Jérémie
euvent
certes,
être
datées
avec
précision23
mais
en même
temps, parce
qu'elles
émanent
de
Dieu,
elles
ne
prennent lace
ni
en un
lieu,
ni en
un
temps
précis
«
Le verbe
divin,
ce n'est
pas
une
suite
de
paroles
où,
l'une
achevée,
'autre ui
succède,
de
façon
qu'à
la
fin
tout
puisse
être
exprimé,
mais tout
est
exprimé
en même
temps
et
éternellement24.La manièredont est inscrite a parole divine dans
cette
mage
n'est
pas
sans
rapport
avec
l'analyse
de saint
Augustin.
Contrairement
u
message
divin contenu et retenudans le
plan
du
phylactère,
a
parole
du
prophète
st en train de naître
sous nos
yeux
elle évolue
librement
ans
l'espace
de
l'image
où elle
semble
flotter t avoir
a
légèreté
'un
souffle,
insi
la lettre
A
»
qui, depuis
la bouche
de
Jérémie,
st
parvenue usqu'à
Dieu
après
avoir franchi
l'obstacle
de
l'initiale
« V
».
L'idée d'acte
de naissance
de la
parole
est très
mportante
ans
le début
du
livre de Jérémie.
n
effet,
e dernier
peur
de la con-
fianceque Dieu lui accorde et exprimesa crainte de ne pas savoir
répandre
a
parole
divine
«
Ah
Seigneur
Yahvé,
je
ne sais
pas parler
car
je
suis
un enfant25.
Dieu le
rassure
t lui
répond
«
Ne
dis
pas,
je
suis
un enfant ar vers tous
ceux à
qui je
t'enverrai,
u
iras et tout
ce
que je
commanderai,
u le diras26. Il faut
donc
probablement
considérer es
«
A
»
qui
sortent e
la
bouche comme le
démenti vi-
dent et visible
de la crainte du
prophète
et
déjà,
la
preuve
qu'au
moment
venu,
comme Dieu
le lui
promet,
l
saura
s'exprimer.
Dans
ce même ordre
d'idée,
on doit
égalementpenser
à
la
représentation
d'une forme
de balbutiement t
d'apprentissage
u
langage.
L'ouver
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